Après nous avoir livré un quatrième opus en demi-teinte des aventures d’Indiana Jones, une adaptation trop désincarnée des tribulations de Tintin et une version sympathique mais claudicante du Bon Gros Géant de Roald Dahl, Steven Spielberg était attendu avec une appréhension phénoménale, autant par ses admirateurs de la première heure que par une génération entière de geeks, pour sa transposition sur grand écran de Ready Player One, glorieux best-seller d’anticipation d’Ernest Cline.
Vision d’un futur pas si éloigné, où l’humanité frappée par une misère globale se réfugie massivement dans un monde virtuel faramineux, le roman de Cline offre à Spielberg les clés d’un retour proprement fracassant dans le cinéma de divertissement, en même temps qu’un écrin idéal pour ce qui restera dans la mémoire des cinéphiles comme son œuvre la plus personnelle, la plus généreuse, voire la plus grisante de sa filmographie déjà légendaire. Véritable blockbuster d’auteur, visuellement jouissif du premier au dernier plan, orgie hallucinante de références à la culture pop des années 70 à nos jours et déclaration d’amour éperdue au septième art comme à l’univers du jeu vidéo, Ready Player One opère la synthèse rêvée des médias de notre temps, un syncrétisme culturel à la fois vertigineux dans son bouillonnement référentiel et bouleversant d’intensité dans sa volonté candide de célébrer notre part d’enfance émerveillée.
Au-delà d’une maestria audiovisuelle orgasmique bâtie sur la succession de morceaux de bravoure d’une ampleur inédite, la mise en abyme grandiose d’un film culte et la peinture épique d’un affrontement pour la survie de l’imaginaire face aux hordes d’un système étatique inhumain, Spielberg se met lui-même en scène dans une posture simultanément humble et démiurgique, à travers la figure du créateur de l’Oasis, l’univers virtuel servant de cadre à son aventure. Humble dans la mesure où il se livre littéralement à nous en partageant les ficelles de son univers, de son identité de metteur en scène. Démiurgique dans la maîtrise totale de son art cinématographique et l’aplomb spectaculaire de sa vision.
Œuvre somme, métatextuelle à travers la déconstruction jubilatoire de ses modèles pour mieux les réenchanter – à l’image de l’exploitation d’un glitch de jeu vidéo par le héros Parzival, lors d’une course poursuite ébouriffante, qui lui permet de voir littéralement l’envers du décor - Ready Player One se construit sur l’entremêlement permanent du médium cinématographique et du médium vidéoludique pour offrir une fusion évidente, rêvée, des deux univers. Là où la quasi-totalité des adaptations de jeux vidéo avait jusqu’à présent échoué (car trop désincarnées, trop peu ambitieuses), Spielberg se paie le luxe de transposer à la perfection, en à peine plus de deux heures, quarante années d’histoire vidéoludique, pour nous livrer un pur fantasme de cinéma, d’une générosité folle, tout en opérant de manière salutaire et paradoxale une vraie distanciation par rapport à la notion même de fantasme.
Jamais prisonnier de son univers pourtant outrancièrement référentiel, Spielberg célèbre ultimement une humanité retrouvée, réelle. Plus qu’un spectacle grisant réinventant et galvanisant les codes du blockbuster de divertissement, Ready Player One est une ode bouleversante à l’imaginaire en tant que fondement humain et ciment social indestructible, d’une puissance poétique toute rimbaldienne : ne laissons jamais mourir l’enfant rêveur qui fait de nous des hommes.
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