La loi d’entropie est un concept de thermodynamique qui rend compte du fait que tout système tend au désordre.
Réalité s’ouvre de façon immersive avec l’agréable sensation d’être dans la nature, en paix. Pourtant quand le titre disparaît et que le coup de feu résonne les spectateurs vont être aspirés dans une spirale où le non-sens va progressivement régner. Des écrans de télévision, une maison remplie d’animaux empaillés et un homme qui ment sur ses démangeaisons. Dupieux nous donne directement le ton. Même la manière dont il filme semble nous laisser entrevoir un fourmillement d’indices. Comme s’il nous disait : « regardaient, les réponses, sont juste devant vous ». Très vite la musique - ou plutôt cette boucle - devient omniprésente, rêve et réalité s’entremêlent laissant le spectateur dans l’incompréhension. Les décors deviennent mouvants - le contrechamp de la cabine téléphonique urbaine révèle la forêt où la chasse au sanglier est ouverte - accentuant de ce fait l’impression de vivre un cauchemar bancal. Le scénario nous enferme alors davantage dans une réalité où règne l’absurde. L’entropie est alors inéluctable.
La manière dont les personnages sont tournés en ridicule participe également à créer une réalité biscornue. Je pense par exemple aux nombreuses scènes où Jason utilise ses mains pour créer un cadre, comme pour se convaincre qu’il est bien réalisateur. À l’opposé nous retrouvons Zog, un artiste complètement absorbé par son film. À travers lui, le réalisateur est présenté comme un démiurge, le créateur d’un monde dans lequel même lui finit peut-être par sombrer. La scène où Zog dévoile le contenu de la cassette et ou le producteur cri au génie est particulièrement saisissante. La lumière, d’abord, participe à créer une atmosphère de révélation. Une lumière dorée quasi divine à droite, la lumière blanche du projecteur à gauche. La musique est encore et toujours là, elle renforce l’illusion. Par un simple zoom progressif, Dupieux étire ce moment et de ce fait amplifie la séparation. Les deux personnages se regardent mais ne se comprennent pas.
Par ailleurs ce film a sans doute une valeur initiatique pour moi. En effet, c’est l’un des premiers films qui m’a fait comprendre que, ce n’est pas grave si l’on ne comprend pas tout.
Le film nous confronte malgré nous à l’obsessionnelle et vaine recherche de cohérence. À mesure que nous tentons de nous débattre pour mettre du sens sur ce que nous regardons, nous nous enfonçons dans l’illusion d’une réalité que le réalisateur nous impose. C’est en cela que je parlais d’entropie au début de mon analyse. À mesure que le scénario semble se mettre en place, la magie opère et la réalité devient indicible. Ce film a peut-être enclenché en moi, une démarche plus tournée vers la contemplation visuelle et sonore au cinéma.