Cinquième long métrage de Quentin Dupieux, Réalité est un film qui synthétise à merveille l'ensemble de son œuvre. Toujours aussi barré, absurde et basé sur le non-sens (comme l'exprime si bien la scène d'introduction de Rubber), le style de ce réalisateur est, il est vrai, assez particulier. Mais une chose est sûre, on ne peut que saluer le fait qu'il nous propose des expériences cinématographiques originales, loin du conformisme habituel, et rien que pour cela il mérite que vous y jetiez un œil... même s'il y a un risque réel de ne pas adhérer au délire et de totalement rejeter le film ^^. Sur ce, rentrons dans le vif du sujet.
Déjà, même si la coupure n'est pas franche, on peut découper le film en deux parties : une première assez classique et une seconde plus complexe.
La première partie nous présente simplement les différents personnages, mais avec toujours cette touche d'absurdité dans les dialogues et les situations signée Dupieux : un réalisateur est à la recherche du meilleur gémissement de tous les temps afin qu'un producteur accepte de produire son film sur des télévisons tueuses ; une petite fille, du nom de Réalité, souhaite découvrir le contenu d'une cassette vidéo retrouvée dans les entrailles d'un sanglier ; un présentateur d'une émission de cuisine, déguisé en rat, souffre d'un eczéma imaginaire ; un directeur d'école conduit une petite jeep en robe et talons aiguilles...
La seconde partie, quant à elle, va continuer ce que faisait déjà partiellement le début du film, c'est-à-dire relier ces différentes intrigues. Seulement, elle le fait en complexifiant grandement les liens qui les unissent par le biais de rêves imbriquées, de films dans le film, ou autre joyeusetés de ce type. Ces procédés ne sont pas sans rappeler Inception de Nolan ou bien le court métrage Nonfilm de Dupieux lui-même, avec de surcroît une ambiance un peu Lynchéenne.
Devant toutes œuvres, le spectateur va chercher à analyser ce qu'il voit et à se créer une suite logique pour mieux anticiper la suite. Et c'est cette obsession de vouloir tout comprendre et intellectualiser dont va se moquer gentiment Quentin Dupieux en insérant de plus en plus d'éléments qui viendront faire s'effondrer vos théories quelles qu'elles soient.
Cette manie de vouloir des explications sur tout est d'ailleurs explicitée au sein même du film par le biais du métier exercé par la femme du réalisateur, son job consistant à analyser les rêves des gens afin d'aider ceux-ci à les comprendre.
Et moi-même dans cette critique je vais lui donner raison en tombant dans son piège, en analysant son film afin d'en tirer le plus d'informations possibles. La dernière réplique du film, appuyée par un regard caméra très marqué, est en cela une véritable réussite puisqu'elle indique que je souffre moi-même de cet "eczéma de l'intérieur" qui me pousse dans une spirale infernale, non pas consistant à me gratter en boucle, mais bien à chercher des réponses en boucle... Puis, de manière générale, j'aime l'idée de cette fin extrêmement brusque qui je pense en a surpris plus d'un (moi le premier), et sa mise en scène rappelant là encore la première scène de Rubber par son placement de la caméra et le fait d'intégrer ainsi le spectateur au sein même du film.
Un autre élément mis en avant par ce film est le fait que le réalisateur soit le maître de son œuvre. Pour cela, il va utiliser la technique du set-up/pay-off qui consiste à placer au milieu du récit un élément à première vue anodin, mais qui au final s'avèrera important. Dans le cas de Réalité, il s'agit d'une réplique faisant référence à Dieu... L'animateur de l'émission demande à l'invité s'il croit en Dieu, à quoi celui-ci répond "Un mec barbu dans les nuages? Non". Mais la seconde fois que lui sera posée cette question, un peu plus tard dans le métrage, sa réponse aura changé et sera un simple "Oui". Il est ainsi fait référence à Zog, un réalisateur barbu qu'on pourrait qualifier comme étant dans les nuages par son côté un peu déluré, et plus largement à Dupieux qui répond aux mêmes critères... Nous n'avons certes pas à faire à notre réalité dans ce film, mais à une réalité malgré tout, celle créée par le réalisateur et pour laquelle il est le Dieu. Il est alors libre d'y placer toutes les incohérences qu'il souhaite, celles-ci devenant logiques au sein de son univers.
Parmi les autres petites choses que j'ai beaucoup aimées, on peut noter la critique de la télé poubelle lorsque le personnage d'Alain Chabat décrit son idée de film, des télévisions qui envoient des ondes pour abrutir les gens. En effet, le producteur répond "de la science-fiction", alors qu'en l'occurrence il n'y a rien de plus réel à notre époque avec la multitude d'émissions de téléréalité et autres trucs à la con qu'on nous inflige... Enfin, j'ai adoré quand le personnage de Jonathan Lambert se montre impatient de savoir ce qu'il y a sur cette cassette, exprimant parfaitement le ressenti du spectateur à ce moment là, remettant en cause le fait que le réalisateur le sache lui-même (sauf que là où nous pensons à Dupieux, lui pense à Zog) et indiquant que plus l'attente sera longue plus il se montrera exigeant vis-à-vis de cette réponse.
Au niveau du casting, c'est un véritable sans faute! Mentions spéciales à Jonathan Lambert dont l'interprétation est juste hallucinante et à la petite Kyla Kenedy (que vous avez pu voir précédemment dans la saison 4 de la série The Walking Dead) qui est incroyablement juste et naturelle dans son jeu malgré son jeune âge. Vraiment rien à redire quant aux choix et à la prestation des acteurs principaux comme secondaires. C'est du lourd! De plus, les fans apprécieront de revoir ici et là certains acteurs des précédents films du réalisateur ainsi qu'un caméo sympathique d'un autre réalisateur français, Michel Hazanavicius.
Précisons également, même si c'est plus anecdotique, que le mélange entre acteurs américains et français, et donc voix anglaises et françaises, est très agréable et permet de rendre le tout plus crédible. {Oui, c'est assez ironique de parler de crédibilité pour ce film, mais bref ^^}
Pour ce qui est de la mise en scène, elle est certes assez classique, avec comme souvent chez Dupieux de nombreux plans fixes, plans très photographiques, mais en même temps réalisés avec une telle maîtrise et une telle inventivité de cadrage que ça en devient impeccable! L'écriture quant à elle est selon moi sa plus réussie à ce jour, rien n'étant laissé au hasard et l'humour étant omniprésent.
Concernant la musique, pour la première fois dans l'un de ses films elle n'est pas de Quentin Dupieux lui-même (alias "Mr. Oizo"), mais de Philip Glass. Un seul morceau pour l'ensemble du film, mais une petite merveille qui de part son minimalisme sert le propos, soulignant l'aspect spirale infernale du récit et apportant beaucoup à l'ambiance oppressante du film.
Bref. Réalité est pour moi la meilleure comédie que j'ai vu depuis bien des années. Un humour ravageur, qui ne plaira certes pas à tout le monde, et un rythme palpitant du fait de sa montée en puissance constante font de ce film mon premier énorme coup de cœur de l'année.
Vivement la sortie de son prochain film, d'autant plus que je me demande bien ce qu'il va pouvoir nous proposer maintenant qu'il semble en avoir fini avec ce premier cycle :-P.