Mention : Génial
A l'inverse de Wrong Cops, ce nouveau Dupieux n'est pas tout de suite prenant. Comme avec Wrong, le farfelu est plus bénin, ce n'est pas captivant d'entrée. A la différence de Wrong, la folie va progressivement exploser. Le contexte devient de plus en plus absurde et c'est de plus en plus irrésistible. Réalité finit par être extrêmement jouissif, aussi grâce a une accumulation hallucinée et hallucinante de références cinéphiles.
La première apparition de Jonathan Lambert revisite clairement Le Mépris. Cette scène de visionnage reprend le dialogue multilingue entre un réalisateur, un producteur et une traductrice. Le plan est le même. Chez Godard c'était Fritz Lang qui jouait son propre rôle, ici c'est John Glover qui joue Zog (difficile de ne pas penser à Werner Herzog). Plus qu'un clin d’œil, ce passage est une reconstitution bien placée.
Le débat entre le réalisateur et le producteur est significatif. Les deux protagonistes défendent fermement leurs points de vue sur les méthodes du cinéma. Divergents mais pas antagonistes. Zog n'aime pas tricher, ce qui agace le personnage de Jonathan Lambert. Le producteur Bob Marshall (Weinstein ?) préfère la productivité, tout en croyant en l'acteur. L'illustration de ces deux points de vue n'est jamais partisane et donne une vision juste et globale du septième art.
Réalité est une métafiction proche d'Holy Motors dans sa façon de tourner le rêve Hollywoodien en dérisoire routine galérienne. Les deux films montrent l'industrie du cinéma comme une usine. Le réalisateur joué par Chabat doit rendre compte du gémissement parfait pour valider son projet. Cette consigne confiée par Bob Marshall (Jonathan Lambert) sonne comme un ordre. Cette demande du producteur a un sens artistique, pourtant c'est une volonté de productivité et commerciale qu'on lit dans ces instructions. Impératifs et délais, la quête de Jason (Alain Chabat) a plus des allures de corvée d'affaires que de recherche artistique. La comparaison avec Holy Motors se vaut dans le parcours de Leos Carax qui campait ses rôles de façon aussi mécanique.
Cette introspection cinéphile nous a fait penser à un autre film grandiose. Mulholland Drive aussi est une métafiction où la vie d'artiste vire au cauchemar. Pas sûr que la référence soit voulue, mais la Californie illustre semblablement le fond. Los Angeles plante le décors, et la photographie sublime le tout. Palmiers, studios, résidences majestueuses et collines donnent de la hauteur à cette folle histoire, un peu comme l'avait fait David Lynch il y a presque 15 ans. On retrouve aussi une part de l'onirisme qui portait Mulholland Drive. En revanche, la question du rêve est explicitement posée ici. Réalité est une escalade d'illusions, une délirante mise en abyme.
Cette superposition onirique semble parodier Inception. En particuliers une scène qui reprend celle de Nolan traçant la mise en abyme des rêves dans le rêve, comme on ouvre des poupées russes. Avec la musique qui intensifie le spectacle. Réalité reprend l'aspect ultra-didactique de Inception pour le tourner respectueusement en dérision. En maitre du non-sens, Quentin Dupieux n'en donne évidemment pas à cette outrance d'explications.
En plus de jouer avec l'imaginaire, Réalité jongle avec le temps. Mélange spatio-temporel complètement loufoque. Il ne s'agit surtout pas de chercher un sens rationnel à toute cette dinguerie. Ce n'est que l'illustration hilarante du pouvoir de l'imagination. Et puis la voiture de Jason fait étrangement penser à la Delorean de McFly. Évidement on est très loin de l'intrigue de Retour vers le futur, mais l'allusion n'est peut-être pas si hasardeuse.
Référence certaine en revanche, les films de série B. Le costume de rat miteux qui donne l'impression d'être tout droit sortie des nanars d'épouvante où la phobie des animaux devenait grossissante. Et surtout la genèse de l'histoire, le projet du réalisateur joué par Chabat. Waves (« ça veut dire ondes ») semble avoir été vu des dizaine de fois, et c'est parfaitement voulu et assumé. Jusqu'à ce qu'on découvre à quoi pourrait ressembler ce film dans le film, scène hilarante. Le rendu est aussi kitsch à souhait. On partage tellement la stupéfaction de Jason, et la gêne d'Alice (Elodie Bouchez).
Même si Eric Judor aurait été parfait dans ce rôle de Jason, Chabat est super. Il donne tout l'aspect comique de son personnage titubant entre ringardise et génie. Le voir si déterminé et fier de son projet bidon est drolatique. L'ensemble du casting est vraiment excellent. Côté frenchies : Jonathan Lambert est épatant. Le voir dans un rôle de parrain businessman d'Hollywood n'allait pas de soi, et pourtant ça fonctionne terriblement. Elodie Bouchez est sobre et classe. Côté anglophones : Ils sont tous plus ou moins clowns.
Encore une fois, Quentin Dupieux s'amuse de tout. De lui même avec un auto-référence dans le titre d'un des films qui patage l'affiche avec Waves. Il image un Rubber 2. Ce qu'est un peu Réalité. La thématique de Rubber était déjà la liberté artistique face aux attentes du public, et donc des financeurs. Les deux films (et tous les Dupieux) cassent les codes et repoussent les limites pour poser la question de l'adresse d'une œuvre. Ce procédé métafictionnel pointe le bon-sens que peut prendre le non-sens et la valeur d'une œuvre en dehors des règles et loin de toutes attentes. Bien-sûr ce n'est pas donné à chacun d'y arriver, Quentin Dupieux prouve une fois de plus qu'il a du génie en lui. Sous des aspects dérisoires et irrationnels, ses films sont souvent très éloquents. Sa maitrise hors de norme du burlesque et de l'absurde donne des scènes d'une drôlerie folle. En plus de cela il a un sens de l’esthétisme très visuels. Des ambiances burlesques où tout est tellement improbable (looks, péripéties, personnages, situations, contextes...). Parmi les films de Dupieux, il y a des scènes d'un degré de frénésie rarement atteint au cinéma (le final de Wrong Cops est une des scènes les plus jouissives de ces dernières années).
Progressivement régressif, Réalité est un hommage au cinéma follement inspiré et d'une grande fulgurance.
Note : 16 / 20