Nouvelle expérience cinéma d’un réalisateur qui ne laisse pas indifférent, Quentin Dupieux m’avait beaucoup plu avec Nonfilm, déployant des réflexions intéressantes sur son art en jouant subtilement de l’absurde, sa marque de fabrique, ses œuvres récentes m’ont laissé quant à elles un sentiment plus mitigé, je sentais que le type partait un peu dans tous les sens avec ce côté petit malin assez agaçant. Ce qui reste de tout à fait stupéfiant malgré les défauts de ses longs métrages c’est le degré d’immersion toujours impeccable, et j’ai souvent pensé que son potentiel n’était pas vraiment exploité à bon escient, était il prédestiné à retourner dans le format court ou moyen ? Possible, du moins préférable à mes yeux. Enfin jusqu’à ce Réalité ...


Car oui ce petit dernier est vraiment LE long métrage de Dupieux que j’attendais, celui qu’il fallait faire, celui où il réussi enfin à réaliser une synthèse de tout ce qui fonctionne dans son cinéma, lier l’absurde et l’immersion, et les emmener vers un certain paroxysme jouissif pour son spectateur, et il est monté très haut à ce niveau là. La construction de son film ressemble pourtant assez à celles des précédents, découpage et collage de plusieurs petites vignettes : un simple cadreur (Alain Chabat) en passe de signer son projet rêvé de science-fiction avec son ami producteur (Jonathan Lambert) qui lui laisse 48h pour trouver le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma; une petite fille découvrant une VHS dans les entrailles d’un sanglier tué par son père; un présentateur sujet aux démangeaisons de son costume de rat; un proviseur de collège (Eric Wareheim) faisant d’étranges rêves où il se voit travesti en femme; et un réalisateur ex clodo (John Glover) pas vraiment avare en pellicule. Tous ces fragments vont se mélanger et provoquer une mise en abyme inconsciente, schizophrénique et démente.


Ce qui est intéressant ça n’est pas réellement le sens de ces histoires, on en a l’habitude chez Dupieux, mais de voir ce qu’il en fait, comment il compose son tableau, cet effet de surimpression, de perte de repères, le but n’est pas de nous raconter textuellement une idée de scénario mais bien de nous faire ressentir des choses continuellement avec l’ambiance, et uniquement l’ambiance (ou presque), et ça c’est un sacré tour de force. J’ai rarement été autant aspiré par une atmosphère, tout est dans la mise en scène, c’est fou, cette séquence de dialogue entre Chabat et Lambert dans le grand bureau avec balcon est symptomatique, il lui raconte son idée de téléviseurs tueurs (rappelant au passage le pneu de Rubber) puis se fait interrompre, puis reprend, puis ils sortent, puis ils ré-entrent, ça semble ne pas en finir, et c’est juste GÉNIAL. Sincèrement je ne sais pas combien de temps dure la scène, sans doute 8-10 minutes, mais si on me dit qu’elle en fait le double ou la moitié je ne serais même pas étonné parce qu’à ce moment là on s’en fout, on est hypnotisé, c’est vraiment très étrange, drôle et extrêmement plaisant, voire apaisant.


Ce coté apaisant est d’ailleurs mis en valeur par cet esthétisme légèrement désaturé et cotonneux, aux décors épurées, aux notes envoutantes d’un orgue haut perché ainsi qu’à la simplicité de l’interprétation des comédiens, tout sonne juste, du moins pour nous préparer à une lente montée en puissance dans un contexte totalement surréaliste et fascinant. Dupieux va installer le rêve et briser cette pseudo réalité, mais aucunement par la grandiloquence d’effets de style, il va simplement placer des points d’ancrage, des éléments que le spectateur pourra assimiler spontanément, car il faut du lâcher prise, se laisser aller et flotter, l’impératif mot d’ordre. Là où David Lynch avec Inland Empire nous emmenait dans le plus angoissant des cauchemars Quentin Dupieux le fait dans le registre de la comédie, et rien n’est balourd, ça n’est pas une composition de "sketchs" mais bien une succession de subtiles petites portions de mise en scène malicieusement référencées et savoureusement décalées. Et la façon dont tout va s’entremêler se révélera être une démonstration forte en terme de pure jouissance spectateur, c’est très intelligent comme retranscription, faire durer le plaisir, atteindre l’orgasme cinéma par écran(s) interposé(s) et superposé(s).


En fait notre cerveau est anesthésié (dans la mesure où on accepte de l’être) et la tension est juste incroyable pour ne pas dire insoutenable (et ça avec quasiment rien), j'en veux pour preuve cette séquence absolument scotchante de la salle de projection avec la petite fille découvrant le contenu de la VHS mystérieuse en contre-champ devant le producteur qui s’impatiente, comme nous, ce qui reflète en tout point cette fameuse idée de mise en abyme. Dupieux s’amuse avec nous et provoque notre niveau d’exigence en ce que doit représenter le cinoche dans son aspect le plus brut : la sensation. Car celui qui se sera accroché à l’attente d’une finalité scénaristique terminera inévitablement sur le carreau et franchement ça sera bien fait pour lui je dois dire, même si on pourra tout de même absoudre le néophyte de la filmographie du réalisateur. Quoique l’inconditionnel pourra peut être aussi y voir une certaine redondance dans ses thématiques, bien qu’à mes yeux elles soient ici parfaitement synthétisées, c’est exactement ce qu’il lui fallait : assumer pleinement en se faisant plaisir, en plus d'une évolution conceptuelle cohérente, faire VIVRE un film.


Réalité marque enfin l’aboutissement du travail de Quentin Dupieux, il signe là une véritable pépite hors norme en matière d’expérience cinéma, car il faut bien avouer que ce genre de film se fait rare et qu’il faut savoir en profiter, ne pas bouder son plaisir et se laisser aller complètement. Repousser ses propres limites sans avoir peur d’être littéralement pris en otage par son écran, au contraire c’est là que le septième art est magnifique, on veut se voir transporté et ne plus être un spectateur (semi-)inerte face à je ne sais quelle production interchangeable, les temps sont durs et ça fait du bien ! Est ce un nouveau départ pour le parrain du french-absurd ? L’avenir nous le dira …

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le 13 juin 2015

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JimBo Lebowski

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