Dans Réalité, chez Quentin Dupieux comme dans Rubber, comme dans Wrong, il y a cette froide lumière, pâle, lisse, aux couleurs pastel, très esthétique, donnant une étrange ambiance, avec la musique qui va avec : cette belle musique de Philip Glass, métallique, répétitive, sans raisonnements, qui va avec l'absurdité du film. Qui embrasse l’ambiance avec élégance, jusqu'à se confondre : un même univers vide, froid, où l'absurde habite le tout avec désinvolture.
Ce qui est incroyable avec Dupieux, c'est qu'il installe d'emblée une atmosphère de vide, d'absurdité. Les personnages, les situations ne se contentent pas à elles seules d'être absurdes. Toute l'atmosphère du film l'est. Complètement vide. Comme si l'on était sous l'eau, dans une bulle, hors d'une réalité, (ici c'est le cas de le dire) comme si parfois ça sonnait faux, nos oreilles remplies d'eau, perché autre part, dans une autre galaxie, sous terre.
Et pourtant l'univers vide de Quentin Dupieux est rempli de subtilité, de consistance, d'une certaine beauté, d'une certaine perfection.
Chez Dupieux, tout est question d'absurde.
Réalité d'abord, c'est le prénom d'une petite fille qui trouve une cassette vidéo dans les entrailles d'un sanglier. Mais c'est aussi l'univers constant d'une réalité introuvable.
Jason Tantra joué par Alain Chabat (complètement méconnaissable, drôlissime, époustouflant !) à 48 heures pour trouver le meilleur gémissement afin d'avoir un oscar et de réaliser son film : un film à l'influence de Rubber : des télévisions qui tuent des gens, abrutis de l'intérieur. Une métaphore sur l'idiotie du monde télévisuel où le film est sa propre absurdité devant un absurde monde, celui d'internet, des médias, de la télévision, du bourrage de crâne en masse, de la non-réflexion, du non sens. C'est tout cela que Quentin Dupieux s'échine à filmer, encore et toujours : l'absurde par l'absurde. Le vide dans le vide. La non-réflexion. Et pourtant dans tout cela, dans ce trop plein d'absurde, Quentin Dupieux dit des choses : il dit l’imbécilité du monde devant sa télé : ce film avec les télévisions qui tuent des gens mais aussi cette émission de télé-réalité débile de cuisine où le présentateur qui n'arrête pas de se gratter et pense qu'il a une crise d'eczéma, est habillé en énorme animal très moche. Il dit l’imbécilité du monde du cinéma a tout le temps vouloir donner des oscars à tout (le gémissement de Jason Tantra). Quentin Dupieux parodie, désacralise le monde, ironise, se fout de la gueule de Stanley Kubrick ("Stanley Kubrick mon cul !" prononce Jason Tantra dans son enregistreur de gémissements). Il se fout de la gueule de tout et ne demande rien en retour. Il choisi l'absurde pour dire le monde qui croule, désoriente les spectateurs dans une irréalité constante, en perturbant les sens, les visions, les orientations, les lieux, les codes, les marques, les habitudes. Il fait de tout cela une complexe cacophonie, un monde fou où les uns et les autres vivent dans le non-sens le plus total. Et l'on peut dire, oui, c'est du Quentin Dupieux.
Rappelons-nous de l'incroyable scène d'introduction dans Rubber. Ce fantastique monologue joué par un Stephen Spinella sublime. Cette explication de non-sens, cette énumération de scènes de films.
Quentin Dupieux fait de Réalité une mise en abîme constante, comme cette incroyable scène, la mieux réussi du film, la scène de l'affiche, aux décors, à l'ambiance complètement incroyable. Et le jeu de Alain Chabat dans cette seule scène, vaut dans ce contexte tout un oscar :
Alain Chabat est seul parmi une fausse foule aux visages vides en caoutchouc, habillés comme lui en smokings à papillons noir, pour attendre la cérémonie des oscars. On l'attend pour qu'il vienne chercher son oscar du meilleur gémissement. Il est collé à sa chaise, épouvanté, gêné, il se trémousse, ne peut pas bouger, et regarde l'homme et la femme aux absurdes sourires attendant en applaudissant qu'il vienne chercher son oscar.
Cette scène est majestueuse tant par son inquiétude, son mystère que par l'absurdité qu'elle dégage, Alain Chabat complètement sidérant dans son absurdité, sa maladresse, sa sincérité, sa profonde justesse. Cela change des bonnes comédies franchouillardes dans lesquelles il s'entête de jouer, borné dans son étiquette d'acteur-comique-de-bonnes-comédies-françaises-pas-drôles.
Et pourtant, le film a du mal à démarrer, bien du mal même. Dès les premières minutes, le vide se fait pesant, ça sonne presque faux, on joue à être drôle et c'est difficile, et c'est dur de démarrer, de trouver un élan. Peut-être est-ce dû au jeu catastrophique de Jonathan Lambert, il parle platement, stoïque, toujours de la même façon, c'est presque de l'ordre du surjeu. Et l'humour, au commencement, à bien sur mal à se faire. Cette scène abominable du début où le personnage d'Alain Chabat rencontre pour la première fois celui de Jonathan Lambert. Et ça rame, et Jonathan Lambert est stressé comme tout, la scène se veut drôle mais est juste pathétique : Jonathan Lambert derrière son bureau, faisant des allers-retours, complètement maniaque, trouve toujours un prétexte pour faire tomber un truc, pour que le téléphone sonne ect... Il n'est absolument pas crédible et avec lui emporte tout le pathos de la scène, alors que devant lui, Alain Chabat est splendide.
On peut dire que le film démarre vraiment quand la mise en abime commence à se faire. Quand les trucs et astuces pour nous faire perdre la réalité sont pleinement là, dans toutes leur splendeur.
Elodie Bouchez énerve exécrablement avec sa voix criarde, son jeu d'actrice de films français populaires dans lesquels elle est habituée à joué. D'ailleurs, elle est nettement mieux quand elle parle anglais.
Quentin Dupieux nous donne un film aux influences de David Lynch, et contrairement à l'Inception de Christopher Nolan qui se veut encombrant, lourd, compliqué, faisant du sur-place coincé dans sa complexité, le Réalité de Quentin Dupieux ne demande rien à personne. Fait de l'absurde par l'absurde. Ne se veut aucune réflexion.
Et c'est du Quentin Dupieux, oui. Du Quentin Dupieux tout craché.