Fall talk
La polysémie du titre du premier long métrage de Tina Satter est fertile : Reality est le prénom de sa protagoniste, Reality Winner, une personne réelle ayant vécu l’histoire qui va nous être...
le 17 août 2023
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La polysémie du titre du premier long métrage de Tina Satter est fertile : Reality est le prénom de sa protagoniste, Reality Winner, une personne réelle ayant vécu l’histoire qui va nous être relatée. Le principe de réalité est encore accru lorsqu’on apprend que le scénario se fonde sur la scrupuleuse transcription de l’interrogatoire subi par la jeune femme, linguiste à la NSA, à qui le FBI vient rendre visite à son domicile.
Même si les faits seront sans doute connus par la majorité des spectateurs, le film adopte un traitement chronologique et une neutralité factuelle lui conférant rapidement des airs de thriller. L’opacité du personnage de Reality, la bonhommie excessive des agents du FBI installent un climat étrange, volontiers paranoïaque. Sous des airs policés, et des digressions qui privilégient le small talk (les animaux domestiques, des questions sur le quartier, la vie personnelle de l’interrogée…) une ligne de basse s’amplifie discrètement, à mesure que les agents posent quelques éléments clés en mentionnant les attributs spécifiques de la jeune femme comme sa maitrise des langues orientales, ses accréditations, son rapport aux armes, ses ambitions de carrière militaire. La reconstitution de l’interrogatoire révèle des techniques bien rôdées, visant à mettre à l’aise l’interlocutrice, en ne cessant de s’interroger sur son bien être (a-t-elle soif ? Veut-elle s’asseoir ? Prendre une pause ? Voir le mandat ?), alors que la nasse ne cesse de se tendre autour d’elle. Le personnage de Reality prolonge de manière assez fascinante cette comédie tendue, admirablement interprétée par Sydney Sweeney, qui joue le jeu du langage phatique en différant tant que c’est possible un dénouement inéluctable. S’ajoute à ce malaise la question insidieuse du genre, jamais explicitement formulée, mais omniprésente dans les enjeux, sur la vie privée de la jeune femme (son compte Insta, son journal intime, son haut niveau d’étude et de compétences) et sur l’intrusion de deux molosses du FBI à son domicile, dans une posture à la fois paternaliste et menaçante par la simple position triangulaire qui se met en place.
Reste à mettre en image cette transcription, qui se suffit à elle-même pour comprendre à la fois la raison de la présence du FBI, et la manière dont on va finir par extirper les aveux attendus. Tina Satter avait dans un premier temps fait de ce document une pièce de théâtre, adaptation parfaitement légitime au vu du matériau, à savoir un nombre de personnages réduits, un dialogue constant et une unité de lieu. Le langage cinématographique explore donc ces contraintes, travaillant notamment la banalité d’une banlieue résidentielle et la manière dont on piège Reality chez elle, dans un lieu familier que des plans trop larges finissent par rendre inhospitalier et suffocant. La place, toujours étudiée, des deux interrogateurs du FBI, accentue encore cet encerclement, au fil d’un cadrage qui se réduit et de focales de plus en plus longues. On sent Tina Satter préoccupée par cet enjeu au point de frôler avec le maniérisme par instants, notamment dans le travail sur le son ou les mises en image des passages caviardés par le rapport du FBI, occasionnant la disparition des personnages à l’écran ou des glitchs un peu superfétatoires. Mais l’issue de l’échange et les annonces de la prise de relai par la furie médiatique laissent entrevoir un autre type de surcharge visuelle et d’hyperboles : celui de la réaction épidermique face à la question patriotique, au point d’en oublier la conscience d’une citoyenne profondément inquiète sur la santé démocratique de son pays.
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le 17 août 2023
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