Reality
6.5
Reality

Film de Tina Satter (2022)

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Reality Winner est une linguiste de 25 ans, travaillant dans les services secrets américains, qui a balancé des informations confidentielles, ou considérées comme devant l'être, sur des interférences de la Russie dans les élections présidentielles de 2016. Ce qui lui a valu d'être condamnée à cinq ans de prison. Une peine exceptionnellement lourde, par rapport à l'acte qu'elle a commis. Ce qui a été vu par une partie de l'opinion comme un abus politique et judiciaire pour décourager d'autres personnes tentées de faire le même type de fuite. Est-ce que ce qu'a fait la lanceuse d'alerte était légitime dans cette belle démocratie que sont les États-Unis ?


Le film de Tina Satter répond par l'affirmative, par la manière dont elle traite le sujet (je vais y revenir plus loin !).


Si on excepte l'introduction et les toutes dernières minutes, l'ensemble du long-métrage se base scénaristiquement sur l'interrogatoire au domicile de la jeune femme, mené par le FBI, lors de la perquisition de sa maison et précédant son arrestation. Donc, il s'agit d'un huis clos, se déroulant sur un laps de temps très réduit, basé sur l'enregistrement sonore des échanges entre la protagoniste et deux agents. Le tout suit scrupuleusement la réalité, jusqu'au plus petit bafouillement, jusqu'à la plus petite hésitation.


Pourquoi ne pas en faire directement un documentaire dans ce cas ? Mais pourquoi pas après tout, car c'est un parti pris intéressant et avec un but bien particulier (je vais y revenir !). D'autant plus que la vérité des performances des interprètes est hallucinante. Sydney Sweeney notamment, dans le rôle-titre, est exceptionnelle.


On saisit par quelle méthode le FBI parvient à leur objectif. Pas du tout en se montrant explicitement menaçant, hostile. Au contraire. Certes, les agents débarquent par surprise et, d'un coup, dans le quotidien de la personne visée, envahissent rapidement son espace personnel. Mais, tout en s'exécutant, ils discutent aimablement avec elle, sont d'une politesse et d'une prévenance impossibles à prendre en défaut à son égard, parlent de banalités, lancent de temps en temps une petite plaisanterie ou une petite confidence sur eux-mêmes, ne donnent jamais la sensation de la contrainte. Puis, graduellement, ils font monter la tension pour obtenir des aveux. Autant dire que le spectateur est très vite mis mal à l'aise. Ce qui est un moyen de fournir un thriller efficace l'air de rien. Ce qui fait regretter que la réalisatrice ne fait pas (à tort !) entièrement confiance à ce dispositif en insérant inutilement quelques flashbacks courts illustratifs.


Ah oui... la raison d'être du parti pris, c'est qu'un visuel accompagne un suivi scrupuleux de l'enregistrement mentionné plus haut. Et qu'est-ce que l'on visionne ? Une jeune femme, de petite taille et extrêmement menue, solitaire, ayant une grande affection pour ses animaux de compagnie, postant quelques instants de sa vie sur Instagram, faisant du sport chez elle - bref, une personne paraissant comme les autres, à la vie de laquelle on peut identifier facilement la nôtre - qui est seule, isolée, face à des mecs, pour la plupart grands et baraqués. A travers l'écoute de l'enregistrement, on pouvait certainement deviner la domination psychologique. Là, on a sous les yeux une domination physique qui ne dit pas son nom. Comment voulez-vous que l'on ne ressente pas de l'empathie, de la pitié pour Reality (de plus, son écroulement psychologique est habilement mis en scène par des disruptions de l'image et de la bande-son !) ?


Dans cette optique, il y a aussi la fin lors de laquelle des extraits des médias, de tous les bords politiques. D'abord, ceux conservateurs (enfin un, Fox News !), mettant bien en avant qu'il est justifié que la linguiste soit derrière les barreaux, pour terminer sur ceux du camp opposé (l'impression dernière laissée !), dans lesquels le point de vue adopté est totalement l'inverse. En outre, pour ce qui est des conservateurs, il y a le choix de mettre en exergue Tucker Carlson, vitupérant sa haine de celle qu'il qualifie d'"activiste", présentant selon lui un danger par la nation, alors qu'avec le recul, en 2023, on peut se poser la question de comment il réussissait à sortir quelque chose de sa bouche vu sa gorge obstruée par les poils de bite poutinienne.


En résumé, Reality a le mérite de défendre d'une façon percutante, efficiente et cohérente son propos.

Plume231
7
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le 16 août 2023

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