On comprend, assez facilement, toutes les réserves, parfois très critiques, qui ont pu être manifestées à l’encontre de Reality,

Une dispersion permanente, manifeste dès le départ, puisque après un enchaînement de plans-séquences et de longs travellings, on ne sait pas vraiment qui la caméra va suivre, autour de qui va s’articuler le récit …

Des temps faibles, des moments vraiment très étirés,

Une absence d’enjeux véritables, la paranoïa liée à un rêve illusoire de grandeur, le poids de la nouvelle télévision, ces questions ont déjà été largement traitées,

L’absence de toute empathie, de toute bienveillance (confinant même pour certains au mépris) vis-à-vis de ses personnages ; il y a là toutefois une grande tradition du cinéma italien, dans sa dimension la plus méditerranéenne, du type « affreux, sales et méchants », cette critique « sociale » de Reality est souvent la plus virulente, et sans doute assez injuste,

L’influence quasi explicite et très mal digérée de Fellini ;

Les maniérismes, les tics de réalisation, ainsi des longs travellings déjà évoqués, comme si, pour de nombreux plans, le réalisateur s’était longuement posée la question du point de départ, souvent en altitude, qui permettrait de faire durer le plan le plus longtemps possible.

Tout cela n’est pas forcément faux, mais il me semble que la réalité est bien plus complexe.

J’ai failli me laisser prendre pendant la seconde partie du film – quand la folie commence à pointer – mais le soufflé est retombé, avec l’arrivée (fantasmée ?) dans la maison de tous les rêves, bien trop étirée – mais pas forcément inintéressante.

Même si l’ensemble est effectivement désordonné (mais ce désordre pourrait aussi bien traduire celui de l’esprit du héros), inégal, répétitif, parfois lourd (mais comme le contexte … Reality n’en ouvre pas moins des perspectives très intéressantes :

- Un vrai regard social, effectivement sans empathie possible avec les personnages, mais sans mépris. C’est bien la réalité qui est décrite (et le conditionnement à la télé n’en est qu’une petite partie), très déprimante, et l’obésité de la plupart des personnages renvoie plus à l’obésité des pauvres qu’à la truculence fellinienne,
- … et aussi un destin individuel, abordé de façon plutôt originale ; il s’agit bien de la folie d’un homme ordinaire, mais qui quelque part s’imaginait en artiste (son travestissement initial, son déguisement en grand-mère, prélude à quelque vieux sketch qu’on ne le verra d’ailleurs pas exécuter), rêve dont seule la vulgarité de l’époque et la misère (sociale, culturelle aussi) peuvent entretenir l’illusion ; la paranoïa ne tient pas de la folie douce puisqu’elle va jusque à la destruction de tout son entourage et sans doute de façon non récupérable (le ricanement pour le moins inquiétant et ininterrompu dans la scène finale) ; les temps forts ne manquent pas , avec une réelle progression vers le pire, entre l’œil espion du grillon (très bonne scène) et l’effet Clérambard, quand le petit magouilleur se prend d’un désir irréversible de tout donner aux miséreux puis d’une religiosité absolue.
- Le passage, très subtil, du « réalisme » outrancier, avec la grande famille napolitaine, au fantastique – d’abord lié aux décors (ceux, très étonnants de l’immeuble où ils résident) et surtout au regard porté par le personnage sur son environnement. Et c’est dans la découverte de cette réalité fantasmée, la scène du grillon, celle de la boîte de nuit (où l’on voit bien que le vol de l’acteur admiré n’est qu’artifice assez grossier), l’obscurité presque absolue enveloppant la découverte du loft … C’est à ce niveau-là, peut-être, que Garrone tente de marcher dans les traces de Fellini, plus que dans les références apparemment évidentes, le casting dans Cinecitta désert, les créatures monstrueuses, les décors baroques ... Mais force est d’admettre qu’il y a chez Fellini, par delà la critique, souvent très dure, une vraie tendresse, un vrai amour pour ses personnages que l’on ressent nettement moins chez Garrone.
- Force est d’admettre aussi que l’on a affaire à un vrai metteur en scène, avec des trucs et des tics, certes, mais surtout avec une véritable écriture : ainsi du jeu très kitsch sur les couleurs, presque vulgaires, outrées quand elles traduisent la vulgarité du réel, mystérieux au contraire, angoissant, avec les clairs-obscurs mordorés, lorsque le récit tourne au fantastique ; ou encore et toujours ces longs travellings qui finissent par ne mener nulle part ou par revenir en boucle sur le personnage et ses obsessions …

Et, avec un peu de recul, la déception initiale ,passée, on peut se demander si cela ne vaudrait pas la peine de reprendre le film pour voir si l’on n’est pas passé à côté du principal …

On pourra également se reporter à la (très bonne) critique de Mymp qui démontre avec force que Reality n’est pas du tout un film sur la télé-réalité, mais bien, comme son titre l’indique de la façon la plus claire, un film sur la réalité.
http://www.senscritique.com/film/Reality/critique/15871592
pphf

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