First man
Il y a de ces rendez-vous qu'on aurait pu manquer, mais sans lesquels la vie aurait perdu un peu de son sel. Bien qu'on n'en aurait pas eu conscience (forcément). De ces découvertes qui marquent, qui...
le 3 juin 2019
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"Avant de mourir, je croyais qu'il n'y avait rien après la mort. Maintenant, j'en suis sûr."
Un peu plus d'un siècle sépare la naissance naturelle de Marc Jarvis de sa résurrection. À l'âge de trente-trois ans, le diagnostic d'un cancer incurable a poussé ce jeune homme à envisager tous les moyens possibles pour prolonger son étincelle de vie. Au vu des avancées scientifiques médicales de 2015, la cryogénisation est apparue comme la solution miracle lui donnant à la fois l'espoir de perdurer au-delà de sa mort s'il pouvait être guéri et un ultime but afin de reprendre le contrôle dans le chaos ambiant de sa maladie. Lorsqu'il revient à la vie en 2084 en tant que tout premier homme ressuscité de l'Histoire, Marc ne renaît pas malgré les apparences mises en place par les chercheurs lors de sa procédure de réveil (un cordon ombilical synthétique le reliant à une machine, les gestes les plus élémentaires à réapprendre, une mère/amante en guise d'infirmière particulière, etc), non, il reprend simplement là où tout s'était arrêté pour lui. Même si son corps n'est plus biologiquement le même, Marc Jarvis est toujours bel et bien Marc Jarvis avec sa conscience, ses sentiments, ses souvenirs et, surtout, cet ultime doute qu'il a eu avant de mettre fin à ses jours et qui va désormais le ronger de l'intérieur, celui de ne pas avoir tout fait pour profiter de ses derniers instants en compagnie de l'amour sa vie...
À ses rêves naïfs d'un futur parfait peuplé de vaisseaux spatiaux lors de sa mise en "sommeil" répond un avenir dont la froideur est exacerbée par l'environnement clinique dans lequel Marc évolue et où les émotions basiques définissant notre humanité ne sont plus que des simulacres médicamenteux. Pire, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, la plus grande avancée scientifique de ce futur qui devrait lui permettre un nouveau départ est un appareil permettant d'extraire nos souvenirs pour les visualiser (voire les moduler) et les revivre indéfiniment, comme si cet avenir avait conscience de ne plus rien avoir à proposer sinon des ersatz d'instants passés de son humanité. Devant cet univers aseptisé, Marc, lui, est assailli par les réminiscences de sa vie d'autrefois, de tous ces moments cruciaux qui ont jalonné sa vie jusqu'à le définir en tant qu'être.
À l'écran, dans son deuxième long-métrage en tant que réalisateur, le scénariste attitré d'Alejandro Amenabar (et donc de "Ouvre les yeux", tiens, tiens...) Mateo Gil nous les rapporte selon le chaos chronologique de la mémoire de son héros et la force de leurs impacts sur le sens de sa destinée. Parmi tous ces évènements constitutifs d'une existence, la rencontre de Marc avec son âme soeur, Naomi, surnage sous la forme d'une histoire d'amour vécue "en décalage" pendant des décennies (et résumée aussi simplement que brillamment en quelques minutes), celle-ci va devenir la lanterne du présent de Marc pour se retrouver dans l'obscurité de ce futur où son statut de cobaye d'une révolution scientifique passe maintenant avant tout.
Lorsqu'une lettre écrite par Naomi surgit du passé, Marc se bloque littéralement, incapable d'avancer et de surmonter les mots qu'elle lui a laissé. Quand sa mémoire commence à menacer ses précieux souvenirs, il en vient même à régresser, revenant aux premiers jours de son réveil, dans l'illusion de ce qui rapproche le plus de sa prime enfance pour tenter d'activer par désespoir ce nouveau départ tant espéré que tous ces chercheurs lui promettent. Mais rien n'y fait, tout le renvoie à cette erreur de ne pas avoir choisi de partager sa fin de "vraie" vie avec celle qui le méritait. Par sa bienveillance naturelle qui tranche avec la froideur de ce monde, son aide-soignante réussit tout de même à lui faire caresser le rêve qu'il est possible d'aimer à nouveau (et donc de passer à autre chose), seulement, sa démarche ne peut qu'aboutir sur un échec tant sa manière de réveiller en Marc ce désir ne se traduit que par des procédés artificiels et la rigidité du cadre scientifique dont elle est l'émanation. À force de le cotoyer, ce sera d'ailleurs ironiquement elle qui chavirera devant l'humanité venue d'une autre époque de son patient alors qu'elle aurait dû en être le garde-fou.
Comme dans toute bonne variation autour du mythe de Frankenstein dont "Realive" pourrait être la réactualisation SF et existentialiste (le fameux "It's alive !" détourné et prononcé par la "créature" elle-même en est le parfait symbole), la prise de conscience totale de Marc sur la fatalité de la prolongation de son existence passera forcément par une confrontation avec son "créateur" mettant en lumière ses agissements et son regard de savant fou autour de la résurrection de sa "créature" et un projet surréaliste qu'il ambitionne afin de lui donner une raison de vivre à tout prix...
Même si ce retour à la vie n'a rien d'un miracle pour celui qui le subit, la justesse invariable que possède Mateo Gil pour nous le raconter, elle, en est un.
De ce va-et-vient permanent entre la lumière d'une existence passée et les ténèbres d'une résurrection remise en question, se dessine le portrait fascinant d'un homme submergé par le regret d'un mauvais choix l'ayant privé de sa fin heureuse. À l'instar de la créature du roman de Mary Shelley qui se réveillerait avec une parfaite conscience, le personnage de Marc nous emporte dans le flot d'émotions contradictoires issues de ce choc irréconciliable entre une vie qui n'a jamais connu le point final qu'elle méritait et une seconde chance qui n'en a que les apparences faute de véritables motivations pour s'y épanouir. Tiraillée entre la tornade dévastatrice de sentiments bruts communs à toute vie humaine que Mateo Gil saisit avec une aisance déconcertante et les questionnements métaphysiques découlant de la situation extraordinaire de ce héros désormais anachronique, l'approche intimiste de "Realive" impressionne par son habilité à envelopper de tous ses tenants et aboutissants réalistes le thème de l'immortalité si récurrent et sujet à tous les délires du registre SF.
Il en ressort un film parvenant à nous émerveiller sans cesse par la vérité qui s'en dégage, utilisant toujours avec pertinence de grandes réflexions existentielles pour les rattacher au sort d'un seul individu et exploitant pleinement toutes les opportunités de ramifications que lui offre un tel récit imprégné sur toutes ses strates du mal-être de son héros afin d'aller jusqu'au bout de son propos au risque de désarçonner par la noirceur de certaines directions prises (quelle fin !). Évidemment, le message qui en découle sur la nécessité de privilégier l'instant présent avec celle/celui que l'on aime peut paraître un peu simpliste par rapport aux grandes interrogations que le film effleure mais il est logique et la seule solution possible lorsqu'on le ramène à la hauteur de Marc et de ce cheminement le conduisant à réaliser qu'il a préféré le fuir plutôt que de le vivre. Au delà de la destination, c'est en réalité ce voyage le plus passionnant, le plus bouleversant, que Mateo Gil choisit judicieusement de mettre en scène et qui débute par cette décision aussi délibérée qu'encore inconsciente de devenir une nouvelle créature de Frankenstein aux mains d'humains se prenant pour des dieux, tout cela dans le but d'amener le personnage de Marc à réaliser la puissance de ce qu'il a vécu et qu'il n'a plus aucune chance de goûter à nouveau.
Porté en majorité par un quatuor d'acteurs parvenant toujours à maintenir avec un certain brio l'équilibre entre la simplicité et la complexité qui se doit de ressortir de leurs jeux pour coller à l'émotion et à l'intelligence d'un tel récit (Tom Hugues, Charlotte Le Bon, Oona Chaplin et Barry Ward sont parfaits), "Realive" est une petite pépite de SF intimiste passée injustement inaperçue lors de sa sortie, trois ans après sa conception, dans une seule salle français. Il est temps de la (re)découvrir pour la faire renaître à sa juste valeur...
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Créée
le 11 nov. 2018
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