L'indigence du discours contemporain fait d'autant plus apprécier les extraits d'interviews du créateur de Maus remontant aux années 80. C'était encore un jeune homme mais il savait déjà mettre des mots sur son propos d'artiste, répondre poliment aux commentateurs critiques de façon imparable et prendre par rapport à son œuvre un recul qui peut sembler aujourd'hui sidérant. C'est dire s'il est temps de renouveler l'eau du bain intellectuel dans lequel on barbote. J'ai mis longtemps à lire Maus, rebutée par les contrastes violents d'un dessin que je trouvais simpliste. Une fois plongée dedans, évidemment, j'ai été saisie par sa puissance. Depuis, j'ai fait du chemin en matière de tolérance graphique : non, il n'y a pas que la ligne claire dans la vie. Une fois mes préjugés tombés, j'ai pu apprécier nombre de créations innovantes et brillantes, parmi lesquelles Maus reste un monument incontournable et c'est peu de le dire. Ma famille aussi a été impactée par l'insoutenable cruauté des camps, a fait face au silence de plomb du survivant, et chéri les maigres indices laissé derrière lui comme autant de petits cailloux dont la postérité s'arrête aux tiroirs de nos maisons. Spiegelman étant plus vieux que nous, il a su poser les bonnes questions. Et sa capacité narrative a pu en tirer une somme indispensable. Un caillou dans notre jardin d'inutiles, peut-être. Reste que la documentariste, elle, n'a pas jeté l'éponge et s'est attelée à analyser l'impact de l'entreprise d'extermination nazie au niveau de l'intime dans sa propre lignée. C'est la partie la plus faible de son film, dommage, mais globalement, elle s'insère plutôt dignement dans la geste narrative de Spiegelman, qu'elle prolonge et commente avec sincérité.