Adel Khan Farooq est un journaliste norvégien qui a suivi pendant plusieurs années Ubaydullah Hussain, un recruteur pour l'État islamique, après avoir réussi à gagner sa confiance. Toute la première partie est un témoignage très particulier, complètement fou, au sens où on le suit de manière parfaitement naturelle dans ses activités quotidiennes. Le genre a tracter dans la rue pour le djihad, dans la joie et la bonne humeur, comme le feraient des militants Greenpeace pour l'environnement. C'est une personnalité très intéressante, aussi passionnante que sidérante, comme le sont à peu près tous les fous furieux prêts à tout au nom d'une croyance quelconque. On le découvrira dans la dernière partie, cet homme est bien évidemment pétri de contradictions, capable d'avancer un argument ou son contraire selon la situation, armé d'un discours extrêmement bien rôdé pour épouser à peu près n'importe quel argumentaire. Exemple classique parmi beaucoup d'autres : il exprime son opinion au nom de la liberté d'expression, tout en appelant à réprimer la liberté d'expression des autres. Il se félicite (même pas à demi-mot) du succès de divers attentats en Europe mais il perçoit comme blessant tout ce qui fait preuve d'un tant soit peu de véhémence à l'égard de l'OEI. Le renversement de perspective est, à ce titre, très intéressant car au-delà des contradictions qui suintent de tous ses pores, on appréhende très bien son système de pensée et ses valeurs.
Une thématique un peu moins engageante est développée dans le cadre de Recruiting for Jihad, bien qu'elle soit tout à fait inopinée : l'irruption de la police dans l'histoire de l'écriture de ce documentaire. Suite à l'arrestation d'un candidat au djihad, le matériel du cameraman Ulrik Imtiaz Rolfsen est confisqué et la police exige l'accès à tout le contenu. Cette péripétie expose de manière aussi frontale que brute (et un peu plate) la notion de protection des sources dans le contexte de la pratique du journalisme.
La fascination que le discours de Ubaydullah Hussain suscite chez des jeunes paumés qui "cherchent à trouver un sens à la vie" fait parfois froid dans le dos, le summum étant atteint quand il s'adresse à de très jeunes enfants. Son double discours a quelque chose d'ahurissant, à quel point il parvient à parler ici d'aide humanitaire et là de guerre sainte, unies dans la promesse d'une consécration existentielle. Le personnage fait parfois penser à un commercial dont la rhétorique marketing serait parfaitement huilée, et d'autres fois à un bon père de famille un peu triste après avoir laissé son fils à l'aéroport s'envolant pour la Syrie. Loin du stéréotype de la brute sanguinaire, il envoie les nouveaux convertis faire le djihad avec un grand sourire.
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