Popularisée dans les années 2000, la « Règle 34 » stipule qu’un équivalent pornographique existe de tout sujet. Júlia Murat expérimente cette théorie autour du personnage de Simone (Sol Miranda), à la fois étudiante en droit afin de devenir défenseuse publique – chargée de fournir une assistance juridique aux Brésilien·ne·s dépourvu·e·s de moyens – et camgirl. D’emblée, la cinéaste brésilienne annihile toute lecture morale ou conservatrice autour d’une pratique pornographique tarifée. Dès la séquence d’ouverture où elle se produit devant sa webcam, la jeune femme est présentée comme maîtresse de son désir et de son corps. La prostitution en ligne est présentée autant comme un territoire d’exploration que comme un moyen de revenus, sous les bruits des tokens dépensés par les internautes. À travers ses discussions virtuelles avec une autre camgirl Natalia (Isabela Mariotto), Simone se familiarise avec la culture BDSM. Elle intègre alors dans son vocabulaire sexuel les notions de douleur et de contrainte.  


En appliquant la « Règle 34 » à la notion de violence notamment subie par les dominé·e·s, Júlia Murat propose une plongée percutante dans une société brésilienne post-Bolsonaro toujours gangrenée par un patriarcat particulièrement machiste. Cette violence parasite l’ensemble des pans de la vie de Simone – comme elle le fait remarquer lors d’un dîner à un étudiant masculin – et prend différentes formes : structurelle (le cadre légal), physique (les femmes battues qu’elle défend), et maintenant érotique (le sadomasochisme). Dans Règle 34, le politique ne s’exprime paradoxalement pas dans le domaine juridique. Alors qu’elle se rhabille après une session, Simone ironise en précisant que son habit de défenseuse publique n’est pas un costume, sous-entendu pour exciter ses internautes encore en ligne. Avec ce tailleur noir, elle invisibilise son corps pour le rendre conforme aux attentes puritaines de l’État. Pour symboliser cette rigidité des structures étatiques, Júlia Murat figure les cours de droit comme des joutes verbales, principalement en champ-contrechamp, mettant en valeur l’intellect des personnages – illustrant ainsi une séparation platonicienne révolue entre un corps impur et une âme pure. De la sorte, émerge l’hypocrite distance entre la réalité, économique et sociale, des défenseur·se·s et celles des défendu·e·s – en particulier autour de la prostitution. 


Face à la rigidité de l’espace public, l’espace privé devient alors un véritable laboratoire d’expérimentations libertaires. C’est dans l’intime – délivré des codes sociaux dominants – que Júlia Murat propose des formes alternatives, autant cinématographiques que sociales, d’aimer et de désirer. Aux côtés de Coyote (Lucas Andrade) et Lucia (Lorena Comparato), Simone réinvente son imaginaire amoureux et sexuel. Cette parenthèse hédoniste s’étiole au fur et à mesure que sa fascination pour le BDSM s’intensifie. La rupture idéologique entre Lucia et Simone se résume à cette sentence prononcée par cette dernière : « désolé, si ma libido n’est pas assez politique pour toi ». Règle 34 questionne habilement l’ambivalence dans le désir des dominé·e·s de reproduire, dans un cadre sexuel, une violence s’exerçant sur leur propre corps. Est-ce reproduire les schémas de domination ou se les réapproprier ? La cinéaste brésilienne ne cherche pas à donner une réponse réductrice, mais à trouver le point de rupture où le fantasme devient purement soumission. Júlia Murat fait naître ce moment funeste où l’asphyxie érotique de Simone rejoindra celle sociale de la société brésilienne.  

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le 4 juin 2023

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