« Le corps a été pour les femmes dans la société capitaliste ce que l’usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain originel de leur exploitation et de leur résistance. »


– Silvia Federici, Caliban et la sorcière, 2004


La civilisation régit nos pulsions, le droit et les normes sociales rétablissent l’ordre dans le chaos des instincts primaires. Les refoulements se retrouvent dans le territoire imparfaitement ombragé de l’intime. Les questions de genres viennent confronter la sexualité aux systèmes : les structures qui dominent une prétendue violence originelle créent de nouvelles formes d’oppressions. Règle 34 explore ces dualités et ambiguïtés au Brésil, pays particulièrement connu pour sa criminalité. La société qui nous encadre nous abreuve aussi de déterminismes belliqueux.


Le terme « règle » est décliné sous plusieurs aspects : les règles législatives, puis les règles sociales, les stéréotypes qui permettent de passer d’un rôle à l’autre. « Ce n’est pas un déguisement » affirme Simone lorsqu’elle se prépare pour sa vie d’étudiante en droit après ses lives érotiques. Sous une surface lissée, l’héroïne semble convaincue que les apparences se superposent sans se contredire. Étudiante avocate spécialisée dans le droit des femmes le jour, camgirl BDSM la nuit, la polyvalence du personnage interroge le chemin qui sépare la peau du barreau : tandis que les cours de droit montrent une volonté de dénoncer et d’encadrer les violences envers les femmes, Internet permettrait d’explorer une prétendue liberté sexuelle. La règle 34 stipule qu’il existe une version pornographique de toute chose : chaque réalité peut être détournée selon son potentiel sexuel. L’univers porno devient cet espace décalé régi uniquement par un grand vagabondage sensoriel. Néanmoins, concilier pornographie et luttes féministes semble constituer une contradiction indépassable : la pornographie serait l’un des principaux canaux d’oppression et de perpétuation d’images misogynes.


« Désolée si ma libido n’est pas assez politique pour toi » rétorque Simone. La sexualité est de plus en plus soumise à une moralité, qui interroge les pratiques sous le prisme féministe : libération ou nouvelle soumission, la frontière est trouble. Est-ce que ces jeux de violence sont réellement issue d’une volonté, d’un plaisir qui devient émancipateur ? Ou bien est-ce justement une autre preuve de la mainmise de la société sur les corps féminins ? Les limites sont toujours repoussées par l’héroïne, permises par le prétexte du jeu expérimental. Règle 34 pose la délicate question de l’intime et du système : sous le désordre des pulsions, l’anarchie finit par s’imposer comme seule issue. Les règles n’existent pas que pour éviter la violence, elles viennent aussi la former. N’importe quelle violence se reproduit, s’apprend, et se contrôle, qu’il s’agisse de la boxe, du sexe, ou de la politique, et ce que nous considérons comme un choix ne serait que l’intégration psychique d’un système de domination surplombant.


Règle 34 arrive à montrer des scènes crues, à filmer l’intime et à épouser les contradictions sans les juger. Le résultat est pertinent, ne tombe jamais dans un moralisme ou un parti pris clair qui annihilerait cette ambiguïté éloquente.


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le 22 juil. 2023

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