Rastafarisme et dépendances
Snoop se met encore une fois en scène dans un documentaire "sincère". Mais peut-on encore se laisser convaincre par le plus grand cabotin que la scène rap US a donné lieu?
L'image et les autres films replaçant l'artiste dans son contexte sont légions et s'échelonnent de la fiction au docu-fiction, de la téléréalité à sa propre émission TV de sketch. A force de jouer avec sa propre images, le gangsters rapeurs semble se faire un malin plaisir à jouer sur la frontière entre son personnage et son identité.
Il est essentiel de rappeler que dans l'article de Nick de Genova intitulé "Gangsta Rap and Nihilism in Black America" (Social Text, 43:89-132), l'auteur démontre l'omniprésence de cette double pulsion de vie (eros) et de mort (thanatos) doit être remis en contexte dans un pays où le racisme est sans cesse contesté et réinventé. En dehors de la question politique, cela donne sens au besoin continuel de ces artistes de se transformer et se travestir régulièrement pour maintenir vivant la force, présence publique en faveur de leur communauté dans une société où Blancs et Noirs s'opposent.
La question de l'image n'aura jamais été plus présente qu'à l'époque du Gangster Rap. Lorsque Snoop Dogg a débuté sa carrière, le vidéoclip s'instituait comme un nouvel outil de diffusion autant, voir plus efficace que les ondes de radios ou la circulation de mixtape. L'image de jeune gangbanger de ses premiers clips est celle du Snoop mis en procès. La réalité le rattrape? Non, les images n'ont rien d'exceptionnel et ne sont que la version public d'un accident qui a été surmédiatisé. Puis il explique sa seconde réinvention lorsqu'il intègre l'équipe de Deathrow. Il achève sa mue de gangbanger pour se tourner vers le statut très conversé de O.G. (Original Gangster). Ces images avec Tupac et son intérêt pour les signes de richesses se déploient dans des clips qui donnent le change par des moyens techniques et des effets spéciaux de superproduction. L'image est froide, les héros sont trop familiers.
La rupture avec Suge Knight annonce une autre transformation, celle du O.G. en Pimp. Bon, la transformation prend des allures de restitution historique avec des figures flamboyantes et chatoyantes dont les premiers écarts en terme vestimentaire du OG atteignent des paroxysmes où l'on hésite entre rire ou admirer. L'Oncle Jeffrey avec ses dents en carton et ses manières ne nous convainc pas plus que les autres costumes porté par le rapeur.
Même sa supposée schizophrénie donne lieu à un clip "Boss' Life" où il met en scène cette folie des grands acteurs où toutes ses propres images se réunissent dans un moment d'une rare intensité émotionnelle porté par la voix du très regretté Nate Dogg.
Que faire de ces images mouvantes, de ces façades publiques qui entrainent irrémédiablement l'artiste à douter sur sa propre identité à l'occasion des rares moments où la réalité le rattrape (décès de Tupac, enterrement de Nate Dogg).
Rien à rajouter à part dire que sa métamorphose en rastafari semble davantage l'affubler d'une nouvelle casquette en tant que personnage du Snoop Lion. Il continue à se travestir en portant des maillots de football européen, en se mettant des lunettes de soleil aux accents Lee-Scratch-Perriesque ou encore en troquant ses nattes (hommage aux très Samoan Trevoux) pour des dreadlocks. Les rencontres avec les Jamaicains se font avec timidité et l'artiste est renvoyé à son rôle de musicien de studio par le très vénérable Bunny Wailers. Ce qui fait tâche est censée être le paroxisme du film, la cérémonie finale. De tous points de vue, elle n'est filmé que comme l'ultime cérémonie paienne et authentique où l'on invite les touristes à participer à un spectacle authentique.
Il y a trop d'emphase, d'émotion et d'éléments signifiant pour croire à de pareils foutaises, un simulacre à la Baudrillard. Snoop est l'artiste rap dont la multiplicité des noms révèlent sa perpétuel mise en branle de son style qui fait sa force, il est performeur et non pas un certain Calvin Broadus, né et élevé à Long Beach. Le cas de "Heatbreak and Ashtray" est un cas d'école, si la chanson est intrinsèquement liée à une expérience douloureuse alors pourquoi avoir fait appel à Miley Cyrus, instrument de sa propre vengeance sur le monde des blancs. Je ne peux y croire que l'artiste ne se déguise pas à nouveau. Maturité de mes fesses plutôt que de celles de ce vieux cabot.
Enfin j'attends le prochain film sur Snoop Vodoo dans lequel Calvin Broadus aura une révélation devant une prêtresse de la Nouvelle-Orléans et boira le calice jusqu'à la lie. Il fera peut-être une danse avec un python, se promènera en baron Samedi dans Hollywood et portera un crâne en guise de bling-bling.