Réincarnation par Zogarok
D’abord à proximité de cette flopée d’histoires de fantômes habitées par des petites filles livides aux appels d’outre-tombes (l’éternelle rengaine : « on sera toujours ensemble »), Réincarnation s’affirme comme un spectacle de haute voltige, tout en grâce morbide et angoisse élégante. Pour autant, Takashi Shimizu ne se cantonne pas dans les spéculations propres au genre : le suspense est réel et le visuel généreux.
Gravitant autour du point de vue d’une actrice interprétant le rôle principal de l’adaptation d’un massacre réel, Réincarnation se déroule entre le tournage et l’université de la jeune fille. Dans la plupart des lieux s’exprime une beauté crépusculaire, souvent latente. Elle imprègne, même lors de séquences plus légères voir comiques, les décors d’une pesanteur spéciale, d’une sensation de présence mortifère dont l’expression finale se languit. Réincarnation se démarque par l’originalité des visions, leur univers, mais aussi une vitalité paradoxale à explorer les ténèbres réminiscents (initialement assez mou et aérien, le climat devient sourd mais puissant).
Au lieu de simples apparitions brèves ou de mots doux péremptoires et caverneux, ici, l’héroïne est envahie par des hallucinations et tout un monde refaisant surface. Le retour à un sujet enfoui peut évoquer Alone, mais Réincarnation est moins concerné par les sentiments ou la psychologie des personnages, leur préférant le développement d’un mythe brouillé et le basculement subtil mais radical du réalisme au fantastique. Sur tout le film, Shimizu travaille à créer un espace intermédiaire entre deux états, deux époques, confondant passé et présent, investissant les souvenirs du lieu maudit dans la mémoire personnelle de l’héroïne. Le résultat est modérément inquiétant, mais franchement cauchemardesque : un peu comme un Freddy amélioré, plus sérieux et plus sombre.
Un sujet travaille le film comme une lame de fond, c’est l’emprise du cinéma sur les voyeurs et les complices qui s’y prêtent. La confusion est subjugué par l’intermédiaire de l’actrice principale, qui vit le drame que le cinéaste et son équipe cherchent à capter. Elle ne l’expérimente pas seulement dans son intimité ni sur le "ring" (le plateau pourrait être un moyen d’entrer en contact, de combattre ou régler son compte aux envahisseurs invisibles), car le cinéma ne sert qu’à accoucher ce conte horrifique déjà en elle, voir précédant sa propre existence et ses expériences, puisqu’elles les ont devancés dans le temps. C’est moins une recherche métaphysique qu’une dimension auto-réflexive (dans la lignée de Wes Craven) que Shimizu ajoute à ses manières sophistiquées, y trouvant au passage l’opportunité de paysages ahuris. Moins torturé et vertigineux que Marebito, Réincarnation est aussi plus émouvant. Dans tous les cas, Shimizu y réaffirme une liberté artistique étonnante, qu’il a d’ailleurs su conserver jusque sur les plateaux américains de The Grudge.
http://zogarok.wordpress.com/2014/08/13/reincarnation/