Lettre de Herzog à la civilisation
Véritable trip (dans tous les sens du terme) cosmique et naturel, quasi-organique, sur le vivant. Werner Herzog, avec son ton grave, son humour acide, filme le mouvement, la progression, contrairement à la plupart des documentaires sur le sujet.
C'est presque psychédélique. Chaque séquence, chaque scène est un moment de grâce absolue, mystique même. A mes yeux, il s'agit certainement du plus beau documentaire du monde. L'Antarctique, paysage cinématographique par excellence, ses habitants déconnectés de notre civilisation, ces formes de vie détachées d'une intelligence voisine à l'homme, de tout esprit de survie et de logique.
C'est une véritable oeuvre de cinéma, loin du documentaire où, comme le disait Godard, on est émerveillé par la beauté des paysages, puis, une fois que le programme est fini, on oublie tout. Herzog filme à merveille ce continent du Pole Sud au calme inquiétant, y instaure une atmosphère presque horrifique. On se souvient de ces bruits organiques, inexplicables, rappelant Pink Floyd, de ces phoques qui servent de moyens de communication entre eux. On se souvient de la cruauté du monde microscopique des glaces. De ces peuples primaires qui, à la suite d'un procès présidé par un gamin de 12 ans, taillent à coups de machette les touristes qui ont eu le malheur de prendre leurs enfants en photos.
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" dit Rabelais. Le cinéaste fait probablement parti de ces derniers humanistes à établir un lien entre plein de domaines différents, la Science, Dieu, la philosophie, et c'est pour cela que le film tient un propos écologique bien plus élaboré que la plupart des autres documentaires.
Si, par quelques moments, le cinéaste semble s'écouter philosopher avec ses interlocuteurs, il a aussi une bonne dose de dérision, en insistant sur le délice des crèmes glacées que propose la base McMurdo et l'anecdote absurde d'un mécanicien qui se vante d'avoir des origines incas car ses mains sont formées étrangement.
Je le dis sans modestie, sans prétention : c'est un fabuleux film sur la Création et le Vivant. Il faut le voir pour le comprendre.