Sorti il y a 16 ans dans les salles obscures françaises, Requiem for a Dream n’a guère pris de ride avec le temps. Considéré à la fois comme un film générationnel dépressif et un exercice de style visuel claustrophobe, le film de Darren Aronofsky émeut autant qu’il arrive à créer du malaise. Prenant l’allure d’un « rise and fall » social et sociétal, le réalisateur ne crée pas seulement une œuvre dénonciatrice d’un système, mais décrit avec violence l’Homme qui consume autant qu’il est consumé.


Requiem for a Dream a un peu le même syndrome que celui de Fight Club. Autour du film, les éloges pleuvent et parlent de lui comme d’un film culte, d’une expérience esthétique forte mais de l’autre côté, les critiques attaquent le versant soi-disant réac’ de la pensée et de la tournure du film quant à sa position sur la drogue. Non, qu’on se le dise toute de suite, le film de Darren Aronofsky n’est pas juste un long métrage qui parle de la drogue et qui nous balance à la gueule le slogan facile qu’est « la drogue c’est mal ». Le film est un choc cinématographique, bon ou mauvais, il reste en tête. Dans Requiem for A Dream, la drogue et autres substances psychotropes ne sont qu’un contexte, qu’une source réelle voire virtuelle de quitter le monde sans horizon qui s’annonce.


Au-delà de fustiger la prise de drogue et d’en faire un étendard moralisateur, Darren Aronofsky alimente surtout une peinture de la société moderne, celle coupée du monde, qui essaye tant bien que mal de se sortir de ces bâtiments grisâtres et de s’évader d’une monotonie aliénante. Le réalisateur montre que, d’un sujet délicat, il arrive à se sortir du guêpier et embrasse avec folie le thème de l’addiction dans tout ce que cela regroupe jusqu’à ce que la spirale négative torpille tout sur son passage.


La drogue n’est qu’une conséquence, une échappatoire pour retrouver une jeunesse disparue ou un avenir forgé sur l’or : c’est une désillusion, un mirage quant à un bonheur acquis. La puissance du film, exceptée la force émotionnelle de sa démonstration incandescente de la descente aux enfers, qui marque la rétine au plus profond de nous-même, est de s’accommoder de son exercice de style purement sensoriel, parfois à la limite du publicitaire (comme Fincher à l’époque), pour y incruster une vraie empathie quant à la construction de ses personnages.requiem-for-a-dream-Jared- Leto


Bâti comme une sorte de rollercoaster inarrêtable, Requiem for a Dream va vite, notamment sous le joug de la bande son monumentale de Clint Mansell, et dessine les cadres décrépis d’une société américaine qui rêve de grandeur. Entre ces jeunes amoureux qui veulent à la fois s’amuser, profiter et gagner en jalon par le biais de ce commerce illégal pour réaliser leurs rêves, et ces mamies qui s’ennuient et traînent le long des trottoirs sur leurs transats dans l’attente d’un courrier qui fera basculer leu morne quotidien dans lequel personne ne leur rend visite, c’est tout un monde qui s’agite et qui se noie dans sa propre frustration, et dans sa moite solitude.


Requiem for a Dream est loin d’un Trainspotting : ce n’est pas un trip baragouineur et un peu tape à l’œil comme peut l’être le film de Danny Boyle. Malgré ses gimmicks, ses effets visuels clinquants qui ne sont jamais vains, le film de Darren Aronofsky est une vraie réflexion sur la dépendance et sa provenance originelle, un American Way of Life en faillite.


Déjà, Requiem for a Dream tord le cou à cette idée reçue que ce mal ne toucherait que la jeunesse ou que la drogue n’a qu’un seul visage, comme on peut le voir avec le personnage de la mère d’Harry, Sarah, qui tombe dans la surmédication. Que ce soit de la came ou des pilules d’amaigrissement, Darren Aronofsky tranche dans le vif et, certes, manque parfois de subtilité dans le portrait de cette décrépitude humaine, mais augmente alors dans le champ d’application du thème de son film. Pour encore mieux éprouver le spectateur, Requiem for a Dream marque les esprits par la force centrifuge de sa réalisation. Car oui, au-delà son postulat scénaristique, de la dramaturgie humaine qui s’avance, c’est avant tout par l’image que le film emballe et accentue sa portée, avec cette systématisation de la répétition de la dépendance et dans la progression régressive de cette symétrie.


Darren Aronofsky utilise sa science esthétique du clip pour agencer cette spirale tragique : split screen, image accélérée lors de rave party endiablée, gros plan clignotant, toute la panoplie est de sortie. Mais alors que ces artifices n’auraient pu servir que de simples caches misère, Darren Aronofsky, avec sa rapidité et son intelligence d’exécution, sa grande qualité de directeur d’acteur (impressionnant et fantomatique Jared Leo), et la photo crasseuse d’un Brooklyn presque délabré, acidifie l’aliénation de son œuvre. Quitte à éreinter le spectateur. Car comme dans Black Swan, le cinéaste aime amplifier ses effets et s’aider d’une mise en scène physique, qui regarde au plus près les stigmates corporels, sans oublier, les morsures psychiques de ses personnages.


Requiem for a Dream n’est donc pas un film comme les autres : parfois trop carnivore dans sa volonté de s’immiscer dans son sujet quitte à en faire un peu trop, c’est des images plein la tête qu’on se détache du film bien après le générique. Avec ce goût de tristesse en bouche, ces dix dernières minutes écrasantes et cette agonie qui suinte les remparts d’une prison au prise raciste ou d’une sex room démoniaque.


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Velvetman
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le 9 sept. 2017

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