Il existe malheureusement des films qui demeurent totalement inconnus du grand public. Pourquoi? Tout simplement parce que ceux-ci ne viennent pas de pays où le cinéma nous atteint plus aisément, que l'oeuvre est destinée à un public plus restreint à cause de cela ou parfois plus incroyable encore pour l'oeuvre de Klimov de figurer parmi les films qui sont... pro-nazis!
A la base, Idi i smotri (Come and See en anglais ou Va et regarde en français), devait s'intituler Tuez Hitler! Mais beaucoup avaient jugé le titre trop osé, trop provocateur. Elem Klimov dira pourtant qu'il ne fallait pas le prendre au premier degré, au sens propre. Mais qu'il fallait aller beaucoup plus loin, que ce titre devait servir à tuer la bête qui se trouve en chacun de nous. Idi i smotri vient quant à lui de la Bible. Une façon parfaite de résumer l'oeuvre du cinéaste russe, qui invite à la fois le spectateur à plonger dans la barbarie de la guerre tout comme il invite son jeune héros à suivre le même périple.
Entièrement tourné à la steadycam, Requiem pour un massacre est une oeuvre formidable par ses prouesses techniques. Il faut tout d'abord évoquer le réalisme que nous offre les rares moments de combats de ce film de guerre, qui s'attarde bien plus sur les dommages moraux et l'horreur qu'il produit qu'à nous montrer de sanguinolantes scènes de batailles. Explosions réalistes, échanges de tirs réalistes, bourdonnement ou sifflement après un bombardement, mort réaliste (une vache se fera réellement abattre pour les soins de Klimov), tirs à balles réelles,... Bref, jamais la guerre n'avait été retranscrite de cette manière au cinéma. On obtient également des plans d'une maîtrise rare. De longs plans-séquences sont ainsi mis en boîte par le metteur en scène. Et puis que dire de l'horreur elle-même. Les villageois massacrés, les filles violées,... Klimov parle d'une chose assez ignorée dans nos contrées. Lorsque les Nazis ont du battre en retraite face à l'Union soviétique, ils n'abandonnèrent pas gentiment les villages qui se trouvaient sur leurs passages. Un peu plus de 650 villages seront pillés. Le sort réservé aux habitants de ceux-ci y était terrible...
Fort heureusement, Klimov se garde bien de nous montrer crûment l'horreur. Il y inscrit une certaine forme de distanciation. Jamais le massacre ou la souffrance n'est vraiment montrée. Quand Fliora retourne dans son village avec Gracha. Le premier ne voit pas ses soeurs décédées. Elles sont transformées par des poupées où les mouches tournent. Pourtant Gracha les voit. Elle en vient à en vomir. Furtivement, on apercevra des dizaines, des centaines de cadavres contre un mur via les yeux déboussolés de la jeune fille. Un massacre encore. Une scène d'anthologie qui nous rappelle Le vieux fusil avec Philippe Noiret et Romy Schneider. Des villageois enfermés dans une église. Un allemand qui hurle que les gens seuls et sans enfants peuvent sortir. Un monstre est scandé par une femme. Fliora sort. Une fille suit avec un gosse. Le gosse est rejeté dans l'église comme on jette une conserve. Ensuite, l'extermination commence. Cocktails molotov, grenade, motos lances-flammes, mitraillettes, mitrailleuses. L'église flambe. On entend des cris. On ne verra rien de la souffrance des gens. On la devine. On en a le souffle coupé. Quinze minutes avant, les villageois étaient emmenés au son d'une musique qui rappelle Kusturica. Une scène surréaliste. L'horreur atteint son paroxysme lorsque la jeune fille revient. Les jambes ensanglantées. Violée. Encore une fois, on n'aura rien vu de l'horreur. On la devine, on la constate. Un Fliora qui va alors cesser de croire en l'espèce humaine, en l'amour.
Il existe pourtant de rares moments d'une poésie et d'une beauté remarquable. Au début, lorsque Fliora et Gracha prennent une douche avec l'eau qui tombe des arbres. Une ambiance qui n'est pas sans rappeler Tarkovski. Mais la beauté est rare dans cette oeuvre. La guerre commence comme étant un jeu d'enfant. Elle va vite se transformer en une réalité atroce pour Fliora. Chaque événement important dans sa perte de l'innocence est accompagnée par un autre: à savoir le passage d'un avion de reconnaissance allemand. Et que dire également de cette fin remarquable? Fliora pointe son fusil vers un cadre du Führer. Il tire. A partir de ce moment-là, via des images d'archives Klimov part des camps d'extermination des Juifs et remonte jusqu'à une photo de famille d'Adolf Hitler, jeune bébé alors. Fliora retrouve alors ses compagnons d'armes, il rejoint le rang. Il n'est plus un enfant mais bel et bien un adulte. Une machine qui tuera probablement aussi.
L'acteur jouant le rôle de Fliora s'appelle Alexei Kravtchenko. Il est tout simplement remarquable et on constate au fur et à mesure les stigmates de la guerre qui s'inscrit sur son visage. D'un visage d'enfant du début, il possèdera un visage marqué, ridé sur la fin. L'acteur sera d'ailleurs suivi psychologiquement sur le tournage. Celui-ci s'avèrera très éprouvant pour le jeune garçon. Un enfant qui découvre l'amour, la joie et qui possède encore toute son innocence au début de l'oeuvre pour tout perdre par après. Pour ne plus croire en l'espèce humaine.
Requiem pour un massacre est un film difficile, dur. Emouvant aussi. La guerre a rarement été montrée de cette manière au cinéma. Et l'oeuvre de Klimov s'inscrit d'emblée comme étant l'une des meilleures du genre. Probablement même du septième art tout court. Rares sont les films comme celui-là. Ce film est un peu l'équivalent de ce que Coppola a fait sur la guerre du Vietnam. Immanquable donc...

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le 6 mai 2011

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batman1985

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