Flash-back. Seconde moitié des années 90. Je dois avoir douze ou treize ans, je délaisse petit à petit le monde de l'enfance pour celui de l'adolescence, les dinosaures et les transformers s'effaçant devant les filles et les jeux vidéos. Seule ma passion précoce pour le cinéma subsiste, sans que j'en comprenne une seule seconde le sens. Jusqu'à ce jour où je découvrit "Reservoir dogs", premier film d'un cinéaste nommé Quentin Tarantino dont le nom ne m'est alors pas totalement inconnu, grâce à "True romance" et "Pulp Fiction", deux films vus et aimés un peu avant.
Je suis chez moi avec un de mes amis d'enfance. Nous sommes seuls et nous nous emmerdons copieusement. Plus de jeux vidéos à finir. Rien à voir à la télé. Dehors, il pleut. Mon pote pioche au hasard une vieille VHS du film de Tarantino éditée par Delta Video. Pour je ne sais qu'elle raison, je n'ai pas encore pris le temps de la visionner. J'insère la cassette dans le magnétoscope. Nous assistons, tels des témoins privilégiés, à une conversation entre des hommes en costumes que nous identifions tout de suite comme des gangsters ayant pour thème... l'interprétation toute personnelle de Tarantino du "Like a virgin" de Madonna. Nous découvrons de pures gueules de cinéma que nous n'allons pas tarder à vénérer. Puis vient un générique ultra cool sur fond de "Little green bag" où le nom des acteurs vient s'incruster sur leurs visages. Ces mêmes comédiens qui vont se retrouver dans une situation fort fâcheuse, tout au long d'un huis-clos à la narration morcelée et à la violence stylisée.
Un peu plus d'une heure et demie plus tard, la joue encore rouge d'une telle claque, je comprend enfin que le cinéma est source d'un pouvoir immense et qu'il tiendra une place importante dans ma vie. Dans les mois à venir, mes copains et moi passerons le plus clair de notre temps à nous gaver de péloches du même genre, tentant vainement de reproduire la même ambiance à l'aide d'un vieux caméscope. Au revoir Walt et Steven, bonjour Quentin et Martin. Du moins le temps de ma mutation.
Plus de quinze ans plus tard, "Reservoir dogs" me tient toujours à coeur, tant sa force demeure intact, sorte de tragédie shakespearienne décalée et shootée à l'humour noir, premier coup d'essai d'un trublion digérant comme un roi ses références ("City on fire" et "Les pirates du metro" en premier lieu) pour en faire quelque chose de neuf, détournant le film noir, le dépiautant, le déchirant, le remodelant à sa façon bien particulière, influençant pour le coup tout le reste de la décennie.
Tourné pour pas un rond avec le concours de comédiens grandioses, "Reservoir dogs" est sans aucun doute une date dans l'histoire du cinéma, la naissance d'un immense cinéaste en devenir qui pose ici les bases de tout son univers fait d'ultraviolence, de répliques cinglantes, de personnages décalés à la coolitude absolue et de pop songs oubliées. Et la naissance de ma véritable cinéphilie. Merci QT.