D’une discussion autour de la coutume du pourboire ou du sens caché du tube « Like a Virgin », Tarantino utilise sa sémantique narrative décontractée du gland, pour caractériser une bande de cabots un peu gauches à la Scorsese, de grandes gueules aux costards bringuebalants, qui vont voir leur prochain braquage, mal tourner. Suivi d’une iconisation masculine et musicale de ces truands et d’une séquence où le sang jonche la banquette d’une bagnole en fuite, Reservoir Dogs cartographie, dans ses premières minutes, le cinéma tout entier de Quentin Tarantino : la violence graphique, l’écriture dialoguiste et le pur plaisir cinématographique. Reservoir Dogs, premier long métrage de son auteur, contient déjà toutes les caractéristiques de la controverse qui articule la filmographie toute entière de son auteur : l’appropriation de ses influences (cinéma asiatique, John Woo par exemple) qui vire parfois au plagiat pour les contempteurs du réalisateur et la gratuité toute personnelle de certaines séquences sanguinolentes à la fois amusées et détendues, comme le soutient cette scène de torture d’un flic qui ne sert en aucun cas la suite du récit, mais qui est purement et simplement un acte individualiste d’un réalisateur qui se fait plaisir sans vergogne.
Le décalage entre l'attitude cool de Mr Blonde et la folie de son geste constitue une des fulgurances de Tarantino qui déréalise la violence. D’ailleurs, l’essence même du cinéma de l’américain se situe dans l’absence d’une argumentation morale, de ce nihiliste dévergondé à outrance : une Amérique où les tirs tuent autant que les mots fusent, où la pop culture appartient à tous, aux professionnels comme au simple mafieux de pacotille, où les truands et les flics s’amusent du sérieux de la violence du monde dans lequel ils cohabitent. Alors qu’ils se voient donner le pseudonyme sous l’appartenance d’une couleur pour garder l’anonymat durant le casse, l’un des truands se voit attribuer le nom de « Mr Pink ». Vexé, il trouve que ça fait trop « pédé ». Comme durant la séquence du KKK dans Django Unchained, Quentin Tarantino a cette faculté de délier la folie sombre de ces personnages par une emphase drolatique qui parfois déjoue les codes de la caractérisation du récit. Comme si le pur Entertainment modulait la réappropriation du film de genre de son réalisateur.
Alors que Mr Orange baigne dans le sang après un tir dans le bide, Tarantino créé un polar où le suspense se fait double : qui est la balance dans le groupe, et qui va s’en sortir ? Pour répondre, Reservoir Dogs, à la fois, polar sec et huit clos suffocant, se voit enticher d’une structure visuelle et d’un montage narratif parfaitement aiguisé entre flashback pour expliciter le recrutement des uns et des autres ; et perspective du présent dans un hangar où les malfaiteurs se cachent des flics pour faire le bilan de leur échec et pour trouver la taupe. Quentin Tarantino ne s’en cache pas, la filiation avec L’Ultime razzia parait prépondérante. Mais derrière ce travail presque autiste, sur la chute des dialogues, sur le cadrage et la perspicacité de sa réalisation, Reservoir Dogs éblouit parfois par ses qualités purement cinématographiques, dites presque « populaires » : notamment sa direction d’acteur qui tchatchent en osmose totale, avec des séquences jouissives dans son défouloir, notamment son duo Harvey Keitel et Tim Roth.
De ces personnages, nait alors le poids des mots, la plume du scénariste qu’est Tarantino (True Romance) s'accorde. Les sujets de discussion restent parfois détachés du rythme du récit mais l’intérêt n’est pas le sujet, et de ce fait, c’est bien le comportement des personnages qui importe. Des mots, Tarantino n’en fait jamais une soupe imbuvable, mais au contraire en fait un tour de force explicatif et démonstratif qui tend à décrire ou inventer l’histoire plutôt qu’à la visualiser, où les acteurs deviennent presque les conteurs d’un film dans le film, avec comme défaut, cette malheureuse envie de sortir la phrase ultime, la punchline comme uppercut de l’urgence. Modeste dans ses effets, mais déjà empreint d’une personnalité propre, Reservoir Dogs détruit les échines du polar pour mieux le remixer et saisir la sève féconde d’un cinéma pétaradant.