En 1992, Reservoir Dogs est une surprise et lance la carrière de l’un des cinéastes les plus influents des deux prochaines décennies : Quentin Tarantino. Doté d’un budget dérisoire gagné avec la vente du scénario de True Romance, Reservoir Dogs a d’abord vocation à n’être qu’un film amateur en format 16mm. Miracle : Harvey Keitel, le monstre de Bad Lieutenant, rejoint le casting. Tarantino commence à voir plus grand et construit progressivement le casting, obtenant notamment Steve Buscemi qui commence alors à se faire connaître grâce à son rôle dans Barton Fink.
Le film sera tourné dans des conditions minimalistes, quelquefois pénibles, avec toujours un budget très modeste. Il va connaître un succès en salles modéré mais agite énormément la profession et le public. Reservoir Dogs sidère, est couvert d’éloges et suscite certaines polémiques, concernant le langage de ses interprètes et sa violence extrêmement crue. Le style Tarantino s’impose, dès ce premier coup-d’éclat : les dialogues jubilatoires et parfois brillants, cette complaisance envers la violence, le parti-pris pour un cinéma de divertissement pur.
Et surtout, plus qu’un film, une fabrication artisanale précise composée d’éléments empruntés aux multiples classiques universels et personnels de Tarantino. L’ensemble des détails, dans Reservoir Dogs, renvoient ainsi à un autre dans l’Histoire du cinéma. Globalement, Reservoir Dogs se veut selon son réalisateur une déclinaison de L’Ultime Razzia de Kubrick, par l’utilisation similaire des flashbacks. Au-delà, même l’idée des couleurs pour désigner chaque gangster est issue d’un film antérieur (Les Pirates du métro) et Tarantino s’inspire directement du cinéma hong-kongais, des polars de Melville (Le Samourai, Le Doulos), de Joseph Lewis, ou de façon plus vaste du film noir et de ses composants bien précis.
Enfin Reservoir Dogs intègre une foultitude de références à la pop culture et les revendique par le biais de ses personnages. La séquence d’ouverture est d’ailleurs une conversation dans un bar, avec tous les protagonistes, au sujet des diverses productions du moment ou d’un passé proche. Cette mosaique de références, ce style décontracté et frontal, cette intégration de la culture mainstream mêlée à des références plus classiques ou bien underground, font de Reservoir Dogs un film d’un genre nouveau. Il est considéré comme une étape importante pour le cinéma indépendant américain et l’ensemble des séries télévisées de grande ampleur citent le film à leur tour. Il a aussi généralisé la structure narrative non linéaire et le cinéma de cinéphile dans un mode plus terre-à-terre mais qualitativement exigeant.
Tarantino allait ensuite persévérer, parvenant selon l’avis général à son climax avec Pulp Fiction, mais surtout donnant dans la surenchère à partir des aspects qu’il mettait déjà en avant. Son cinéma atteindra un certain degré de vacuité, dangereux mais parfois sublime (les Kill Bill), jusqu’à l’écroulement total et la vulgarité dans Inglourious Basterds puis dans une moindre mesure avec Django Unchained. Dans Reservoir Dogs, les failles de ce cinéma sont déjà là : gratuité des effets, philosophie laborieuse, grossièreté du trait, superficialité crâne, méthodes aléatoires confinant à la paresse déguisée. Elles sont l’envers d’un style unique, hommage de chaque instant au cinéma et à la culture indifféremment de sa source ou de son niveau.
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