Reservoir Dogs, sortit en 1992, est le premier film de Quentin Tarantino. Il raconte l’histoire d’un braquage ayant mal tourné et dont nous n’en voyons jamais l’intégralité. Il s’agit d’un film de casse mais construit différemment des autres films du genre comme Quand la Ville dort de John Huston (1950) ou Ultime Razzia de Stanley Kubrick (1955) qui se focalisent sur le casse lui-même et non sur ce qu’il se passe autour de ce casse. Reservoir Dogs explore cela.
La longue scène d’introduction (sept minutes), présente les personnages à travers une discussion dans un café se déroulant avant le braquage. Cette scène permet au spectateur de connaitre à l’avance le caractère de chacun des protagonistes afin qu’il sache à quel genre de type de personnage il a faire et comment le film va évoluer autour de ces personnages. La discussion des braqueurs est assez désordonnée malgré la présence d’un sujet de conversation, Like a Virgin de Madonna, cela donne au spectateur le ton du film ainsi que sa structure narrative qui semblera désordonnée et assez longue compte tenu de la longueur de certains plans malgré un certain dynamisme dans la mise en scène. Cette scène d’introduction est hors du cadre de la structure narrative générale du film, elle s’inscrit comme étant une scène de présentation du film dont les détails ne sont là que pour étoffer le récit, le rendre plus vivant et crédible. Selon Claire Vassé , ces dialogues sont « d’une durée et d’une teneur totalement incongrues pour un polar, ces conversations ne s’inscrivent pas directement dans l’histoire. Elles ne la sous-entendent pas non plus comme peut le faire un dialogue allusif à la Melville ou un dialogue au second degré à la Hawks. Elles sont en réalité à côté de l’histoire. ». Reservoir Dogs empreinte aux films de casse des années 60 (It’s a mad, mad, mad world ! de Stanley Kramer) leur humour. Pour Tarantino son film est une comédie et non un drame, il veut que les gens rient en regardant ce film car il s’agit d’une équipe de bras cassé complètement idiots utilisant un langage que tout le monde entend. Les dialogues doivent se rapprocher le plus possible de ce que le spectateur connait afin que celui-ci s’attache plus facilement aux personnages et ait la sensation de pouvoir un jour côtoyer ces gens-là. Ces dialogues « réalistes » ou du moins se rapprochant de la réalité est assez peu conventionnel du film de casse qui a plutôt tendance à user de termes techniques du milieu du crime organisé.
Tarantino brise les codes de l’écriture conventionnelle du film de casse en 3 actes afin de structurer son film en puzzle assemblant les différents aspects du braquage et rendant l’intrigue plus complexe à chaque scène jusqu’à la séquence finale. Le film de casse en 3 actes montre dans le premier acte le recrutement des hommes et du matériel ainsi que l’organisation entière du hold-up, le second montre habituellement le casse, son déroulement de A à Z débouchant sur le troisième acte qui montre la fin de ce braquage, ce dénouement est différent pour chaque film, soit l’équipe se partage le butin comme dans Braquage à l’italienne de F. Gary Gray (2003), soit l’équipe se fait arrêter ou tuer par la police (Point Break de Kathryn Bigelow,1991) ou par ses propres membres, même organisation (Snatch de Guy Ritchie, 2000).
Le film ne prend pas en compte la structure narrative du « dernier gros coup » comme elle est utilisée habituellement par le film de casse pour des films tels que Heat de Michael Mann (1995) et The Score de Frank Oz (2001). Dans le film de Tarantino il s’agit de différent malfrats qu’un homme réunis au sein d’une seul et même équipe pour un gros coup qui avant la fin de l’histoire n’est pas censé être le dernier, c’est dans le déroulement de la narration que l’on comprend la nature du casse et quel impact cela a eu sur les différents protagonistes . Il est habituel, en prenant exemple sur les films des années 50, de ôter au film un voire deux actes dans la narration, le scénario se basant sur l’expérience cinématographique des spectateurs afin de combler les éléments manquants. Touchez pas au grisbi de Jacques Becker et Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, par exemple, l'action de ces films se situe bien après que le casse ait eu lieu, il existe également d’autres films dont l’action n’est pas conventionnelle dont L’Ultime Razzia de Stanley Kubrick (1956) et Un Hold Up extraordinaire de Ronald Neame (1966).
Le film se structure au début en flash-back, procédé très souvent utilisé dans le film noir comme Assurance sur la mort de Billy Wilder ou encore Les Tueurs de R.Siodmak. Le film accumule le flash-back factice mais servant toutefois la narration comme celui de Mr. Orange incarné par Tim Roth qui possède un flash-back servant à présenter le second utile à la compréhension du film. Ce flash-back ne provient pas du personnage lui-même, car celui-ci n’a aucune utilité de se souvenir de la scène montrée à l’écran, mais plutôt du spectateur, qui ayant besoin de plus d’informations sur le personnage, pioche dans la mémoire de celui-ci. Ce procédé est assez inhabituel dans ce genre de film. De plus le personnage de Mr. Orange, permet au spectateur non plus de s’identifier aux personnages mais d’être identifié par ceux-là et cela commence par l’interruption pure et simple de la violence dans le film par l’intervention du personnage de Tim Roth tuant Mr. Blonde, interprété par Michael Madsen, qui, pris par une immense soif de sang allait brûler vif un policier après l’avoir torturé. C’est donc comme entendant le cri du spectateur excédé par cette violence que Mr. Orange élimine Mr. Blonde. Jamais dans le film de casse le personnage ne fait ce que le spectateur s’attend à ce qu’il fasse normalement. Il s’agit encore une fois pour le réalisateur de poser son film un peu plus près de la réalité et de la crédibilité de l’action. Cela enlève au film toute conventionalité et remet en question l’expérience cinéphile qu’a le spectateur et principalement à propos du film de casse.
Lors du flash-back dévoilant un peu plus le personnage de Tim Roth, on observe qu’il s’agit d’un flic répétant une histoire jusqu’à l’assimiler totalement et la ressortir auprès des recruteurs, qui enchantés par son histoire, l’embauche. On assiste pour l’occasion à une scène spécifique de ce que l’on pourrait appeler un détournement du film de genre. C’est en effet dans les films de genre ainsi que dans les séries B que Quentin Tarantino puise la majorité de son inspiration. Cependant, si Reservoir Dogs s’inspire des films de hold-up, celui-ci ne se repose pas sur les règles du genre le définissant. A l’inverse, faisant croire qu’il ajoute à la structure classique du genre, le réalisateur exploite cette physionomie pour engendrer un décalage. C’est en faisant cela, qu’il est le plus marqué par le cinéma de la Nouvelle Vague et principalement la liberté artistique de Truffaut (L’enfant Sauvage, Fahrenheit 451) et Godard (A bout de souffle, Made in USA) à réutiliser les codes de films de genre afin d’en faire quelque chose d’unique allant dans le sens voulue pour leur œuvre. Dans Reservoir Dogs si l’illustration de cette idée est construite dans la scène de la distribution des pseudonymes, c’est qu’elle éveille chez le spectateur ce qu’il connait du film de braquage et n’est sans rappeler les scènes dans lesquelles les personnages sont présentés un à un avec chacun leur spécialité. Dans Reservoir Dogs, il s’agit cependant de tout autre chose, il ne suffit pas de préciser la spécialité de chacun, ni de transmettre d’indication psychologique, mais, aisément, de rapprocher à chacun des protagonistes une fausse identité facile à retenir, autant pour le spectateur que pour les personnages qui voient en leur nom de code une façon de les caractériser psychologiquement, chaque couleur faisant appel à une symbolique spécifique à chaque couleur. On ne pourrait se contenter de l’éclaircissement scénaristique, selon laquelle les surnoms ne seraient là que pour empêcher qu’un des braqueurs ne « balance » les autres s’il était arrêté. Encore une fois, le cinéaste s’amuse avec les règles, la toile de fond narrative est ainsi construite des personnages « couleurs » posés sur une palette, n’attendant juste que leur tour vienne pour composer leur part du récit.
Ces personnages jouent aux acteurs vus dans les films de gangsters de Scorsese (Les Affranchis, Casino) pour le jeux et John Woo (A better Tomorow) pour les costumes afin de se donner un peu plus d’importance qu’il n’en ont à la base, c’est-à-dire pas grand-chose la bande de braqueurs est usée, un peu vieille et ne ressemble plus vraiment à une bande de voleurs, et pourtant ce sont eux qui mettront à exécution un casse violent qui finira en bain de sang aussi bien du côté des civils que du côté des braqueurs. Le film retourne ici à l’essence même du film de casse, un braquage violent, souvent avec des « dommages collatéraux » et des braqueurs n’en sortant pas indemne. On trouve dans ce film le schéma type du déroulement d’un casse malgré le fait que l’on en voit quasiment rien, des bribes, en supplément de ce qui est exprimé à travers les dialogues des personnages, qui nous suffisent pour comprendre la dimension qu’a prise ce casse et l’impact, l’importance que cela peut avoir sur le récit.
Reservoir Dogs est un film de casse peu conventionnel jouant avec les codes de ce genre afin d’en réinventer les normes narrative et d’imposer une nouvelle vision du film de casse, Tarantino semble vouloir opérer une transition le film de casse hollywoodien conventionnel et le film de casse contemporain indépendant.