Mélanie Laurent est quoiqu’on en dise, une artiste actuelle des plus prolifiques : actrice, réalisatrice, chanteuse, du haut de sa trentaine, la dame n’a pas à rougir de son CV plus que respectable puisqu’elle s’est notamment associée à Quentin Tarantino, Brad Pitt, Justin Barta, Christoph Waltz et a raflé (ahaha) pas mal de récompenses… Alors certes, elle a la grosse tête, mais avec du recul, on peut lui donner des circonstances atténuantes.

Ici, j’ai envie de parler de sa deuxième réalisation, Respire. Attendue au tournant après sa vidéo virale, Laurent s’en est très bien sorti et nous a même donné un film assez impressionnant. Elle nous livre ainsi une histoire entre deux lycéennes : Sarah, la nouvelle, délurée et extravagante et Charlie, la timide, effacée, se rencontrent. Elles se lient d’amitié, mais Sarah va se montrer de plus en plus étrange.

Avec Respire, la réalisatrice tient à raconter l’histoire du harcèlement scolaire, de ses débuts à sa fin potentiellement dramatique. Pour cela, elle adapte le livre d'Anne-Sophie Brasme et se sert de ses propres expériences, puisqu’elle raconte avoir été souvent moquée par ses camarades de classe plus jeune. En pointant du doigt l’histoire de Charlie et Sarah, elle montre à quel point ce genre d’incident est loin d’être isolé, anodin et sans conséquence pour les victimes. Les adultes (parents, professeurs) ont souvent tendance à minimiser ces problèmes, ce film montre qu’ils ont tort.
Cependant, tout au long du film, on ne voit que le point de vue des jeunes (surtout Charlie) et les adultes semblent éludés du problème. Non pas qu’ils soient forcément ignorants, mais il a été plus juste de ne montrer que le ressenti de la victime, de savoir quelles étaient ses possibilités, ses portes de sortie. Ainsi, on ne sait pas si la mère de Charlie ou même ses professeurs font quelque chose pour enrayer le problème, ce que l’on sait, c’est qu’elle souffre et qu’elle est seule, malgré les potentielles aides qu’elle reçoit.

Ainsi donc, on rentre dans le quotidien d’une victime d’une perverse narcissique. Les fameux dont on entend parler plus que de raison depuis quelques mois. Et ce quotidien est juste un cauchemar, bien qu’idéale au début, la relation entre Sarah et Charlie se défait petit à petit et devient horrible. Ça commence d’abord par la jalousie de Sarah, presque anodine, puis une gifle. Entre ces deux faits, Sarah redevient paisible et n’éveille pas les soupçons de Charlie. Puis ça repart, Sarah commence à se moquer de Charlie, physiquement, psychologiquement, elle la détruit sans raison apparente, juste pour le plaisir, juste pour exercer un certain pouvoir sur plus faible qu’elle. Entre chaque débordement, Sarah nie ou minimise et Charlie l’excuse et s’excuse elle-même. Avant de repartir de plus belle. Et là, la dimension dramatique déjà atteinte s’approche de son paroxysme, Charlie ne veut pas reconnaître que son « amie » est fautive, elle veut davantage se rapprocher d’elle, se faire toute petite, s’excuser et garder leur belle relation. On aurait envie de secouer pendant de bonnes minutes Charlie pour qu’elle comprenne enfin que cette relation est nocive, mais ça serait ne rien comprendre au harcèlement et à la manipulation… A l’instar des violences conjugales, Charlie efface tout et retourne vers son bourreau, elle s’excuse, se demande pourquoi elle est autant détestée. Émotionnellement, pour le spectateur, c’est assez lourd : on est imprégnés voire enrôlés dans une relation cancérogène dont on voudrait connaître l’issue et s’en sortir, mais comme Charlie vis-à-vis de Sarah, on ne peut s’en défaire si facilement, et on attendra le pire pour pouvoir souffler.

Le casting de Respire étant majoritairement féminin, on serait tentés de penser qu’un homme pourrait régler le problème. Le copain de Charlie ? Son père ? Tous les deux aperçus mais absents, on sait que cette pensée machiste ne pourrait rien résoudre. Et avant que vous ne fassiez des liens inutiles, l’œuvre n’est pas féministe. C’est avant tout une histoire de harcèlement scolaire entre deux lycéennes. L’une fait subir à son entourage ce qu’elle subit avec sa mère, l’autre tente de penser à autre chose qu’aux souffrances de sa mère mais se révèle être son portrait craché. Le film ne prend pas non plus le raccourci qui dit que l’enfant emprunte le même chemin que ses parents, mais ne s’en éloigne pas non plus. La volonté est surtout de montrer que ce que l’on voit dans le cercle familial est souvent reproduit, mais aucunement qu’une fille dont la mère est battue sera forcément à la place de sa mère un jour. Tout est si limpide, naturel et sans ficelle dans le film que l’on n’a pas besoin d’expliquer les différentes relations entre les personnages et leur fonctionnement. Ce naturel a été voulu par Laurent qui a tenu à ce que ses deux jeunes actrices soient amies, se connaissent véritablement pour pouvoir mieux se détester devant la caméra. Et le résultat est sans appel : les performances des jeunes femmes sont impressionnantes, posées et naturelles. Aucune ne surjoue, elles habitent leur personnage de manière spectaculaire et avec une facilité déconcertante.
Toujours dans la volonté de montrer une histoire qui peut arriver à tout le monde, Respire ne donne jamais de date ni de lieu. On sait juste que l’histoire a lieu pendant une année scolaire dans une petite banlieue de France. Ici, l’objectif est donc de montrer que ceci peut arriver partout, même là où on ne s’attend pas à voir ce genre de problème, là où on pense être à l’abri.

[SPOILER]
Les scènes sont dures, tout comme certains dialogues qui font froid dans le dos… La première baffe de Sarah à Charlie « pour rire », la scène où Charlie se fait presque insulter parce qu’elle commence à mettre en doute la parole de son amie, la soirée où Sarah chuchote avec le plus grand sérieux du monde qu’elle va tuer Charlie… Mais celle qui retient toute l’attention, c’est la dernière : centrée sur Charlie, on entend sa mère mais on ne la voit pas, comme si tout était déjà loin, elle pleure doucement, a des spasmes puis fait une crise d’asthme, n’arrivant plus à se retenir, on entend sa mère hurler en découvrant Sarah. Cette scène en particulier est éprouvante et assez insoutenable à regarder, alors pour la tourner, je félicite Joséphine Japy qui a en quelques secondes bascule dans la suffocation horrible sans pouvoir s’arrêter.
[/SPOILER]

Le film n’est pas non plus exempt de défauts. Notamment la scène où Charlie va dans la mer et a de l’eau jusqu’aux genoux. On a juste l’impression que c’est mis là pour faire joli, pour donner un côté artistique, indépendant… Cette scène n’a rien à faire là et n’apporte rien à l’histoire. Et c’est un peu dommage de voir ça, on n’a ni besoin de voir autre chose, ni de peupler l’œuvre de quelques minutes inutiles. Mais ça reste infime.
Cependant, je trouve ce film très intéressant, de par son sujet, de son interprétation impeccable et du déroulé de l’histoire qui nous plonge petit à petit dans l’horreur banalisée.
Szagad
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le 13 févr. 2015

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