« Talking to the trees » est le titre original du film italien Retour à la vie. Un titre plus subjectif qui nous fait imaginer que la réalisatrice (et actrice) et son comparse s’intéressent tout autant au destin d’un pays qu’à celui d’enfants esclaves sexuels. Or, ça n’est qu’une toile de fond car ce « retour à la vie » du titre français concerne exclusivement Mia, la parisienne auto-centrée qui va vers la rédemption donc parce qu’elle sauve deux petites filles (et par ricochet un petit garçon et tout un bordel pédophile) d’une mort certaine. A l’origine de ce long métrage, la rencontre entre les deux réalisateurs du film et des militants impliqués dans la lutte contre la maltraitance et l’exploitation des enfants en Asie du Sud-Est. Le grand message du film, c’est celui-là : les occidentaux (et les locaux, mais ça reste suggéré) viennent exploiter sexuellement des enfants au cœur d’un système ultra-corrompu (jusque dans la police). Pourtant, le film ne fonctionne absolument pas, enfilant les clichés plus vite que les perles sur un collier d’enfants et bénéficiant d’un jeu d’acteurs et d‘intrigues complètement ridicules et surtout incohérentes. Ici, les policiers corrompus relâchent leurs proies sans raison et les sauveteurs surgissent au dernier moment, comme un deus ex-machina anti-poétique/théâtrale pour résoudre une affaire pliée d’avance. La caméra hésite tout le temps entre ses personnages et la beauté exaltante des paysages Cambodgiens. En résumé, Retour à la vie est un échec tant formel qu’idéologique et une énorme déception tant le sujet paraissait fort intéressant et nécessaire à dénoncer.

Prenez La Rafle sans le recul historique nécessaire et vous aurez Retour à la vie, sorte d’épisode de Famille d’accueil (la série bons sentiments de France 3) délocalisé au Cambodge. Quelque chose ne tourne pas rond dans le film et ce, dès le début. La caméra s’approche d’une petite fille qui parle à un arbre centenaire, son petit frère accourt et l’entraîne sur le terrain où leur grand-mère vit encore au milieu des hommes qui détruisent les arbres, elle résiste. Un occidental sans cœur explique à ses hommes qu’il a acheté cette terre qu’il en fait ce qu’il veut. Deux gros sabots donc s’invitent dans ces lieux sacrés. Une fois le méchant patron parti, un des hommes du chantier, sans raison apparente, écrase la maison de paille de la grand-mère qui meurt sur le coup. Résultat, la petite fille du début accourt vers le corps, hurle et la caméra en profite pour faire un gros plan sur son visage en larmes. Cette scène inaugurale est censée nous expliquer les raisons pour lesquelles la petite Srey et son frère ont été vendus à un bordel pédophile. Pour faire se rencontrer ces deux petits enfants innocents et Mia, la femme qui va les sauver (un peu malgré elle), la caméra s’intéresse à une femme dans un taxi, visiblement arrogante, qui cherche à rejoindre son mari. Elle marche la tête haute sans sembler se rendre compte de la crasse qui règne autour d’elle. Elle veut payer son moyen de transport plus cher qu’il ne coûte et dit au chauffeur de « garder la monnaie » (lui n’en revient pas). Bref, elle marche avec ses talons, son arrogance rentrée d’occidentale qui n’a jamais souffert (ou presque) et suit son mari. Voilà qu’elle débarque devant une maison où quelques enfants jouent paisiblement. Elle demande si quelqu’un n’a pas vu un homme (etc)… personne ne lui répond. C’est comme ça qu’elle trouve un petit trou dans la planche de la maison, qui en fait est un bordel, où son mari termine de jouir entre les mains d’une toute jeune fille qui n’est autre que Srey. Après mille péripéties, dont une scène de « viol » symbolique assez pathétiquement filmée, Srey et deux autres petites filles se retrouvent dans une voiture volée avec Mia et à peu près tout le Cambodge (qui se résume ici à un tenancier de bordel, un homme invisible mais visiblement très puissant et deux policiers (le gros et le maigre) sur une moto qui n’avance pas très vite) à leurs trousses. En voix off, celle de Mia s’adressant à son enfant imaginaire (celui qu’elle était venue concevoir au Cambodge), on comprend qu’elle se droguait (et se droguera encore) et cherche à se racheter. Avec Srey, qui était la prostituée privilégiée de son mari, une gamine de dix ans à peine, la relation est parfois tendue. Surtout quand, dans un dialogue qui frise la pathologie, Mia reproche à Srey (oui la gamine de dix ans) d’avoir mieux contenter son époux qu’elle et d’être une « voleuse de mari ». La psychologie n’est pas le fort de ce film clicheteux, vous l’aurez compris. La drogue est juste l’occasion pour la cinéaste de faire du personnage qu’elle incarne (sans talent), Mia, un être torturé en pleine rédemption. Elle ne comprend pas grand chose à ce qu’elle fait, ne cherche pas vraiment à aider ces enfants par la suite. Même si à la fin elle créer une pseudo association, on comprend surtout qu’elle s’est sauvée elle-même, d’ailleurs c’est ce qu’elle dit.

Côté scénario, les rebondissements sont si incohérents qu’on ne comprend plus vraiment ce que le film veut dire. C’est que les scénaristes sont persuadés que ce sont exclusivement les dialogues qui doivent faire passer les messages. Résultat, tous les personnages doivent parler de leur condition, raconter sans raison ce qui leur arrive (non un enfant ne parlera pas aussi facilement de ce qui lui est arrivé de si traumatisant). Les deux réalisateurs se contentent de faire dire en pleine forêt, ce que des enfants leur ont dit en témoignage (certainement après avoir, eux, pris du recul avec ce qu’il leur était arrivé). Et le documentaire dans tout ça ? C’est un film à message donc, mais qu’on a compris au bout de cinq minutes. Le périple n’est qu’un prétexte. En plus, sans aucune pitié, on élimine d’un simple coup de couteau celui qui est considéré, sans nuance, comme le mal absolu, soit le mari de Mia (ou l’occidental du début qui voulait détruire les arbres). Côté images pourtant, on sent qu’un amour du Cambodge, comme un certain sens du cadre, transparaît. Et c’est ça qui est encore plus dommage. Quand la caméra s’intéresse aux animaux, aux arbres, à l’apparente pauvreté du milieu au sein d’une nature luxuriante, c’est là que la dénonciation est la plus pertinente. Le cinéma parle de lui-même, car ce que la caméra capte dépasse tout discours. Et ce discours justement, c’est bien là tout le problème du film. Il n’y a aucun recul sur les événements racontés, dénoncés, aucune analyse, juste la recherche de l’émotion facile. Là où La Rafle pensait que des visages d’enfants ou des gros plans sur des peluches abandonnées suffisaient à faire un film sur la Shoah, Retour à la vie pense que charger son film de scènes attendues : rejet des familles, mort d’une des petites filles dans les bras de sa mère (etc…), ou encore retrouvailles invraisemblables, pourront expliquer la situation d’un pays complexe, vaste et gangrené par son traitement de l’enfance : travail, adoption par des étrangers sans connaissance de la situation réelle des enfants, ou encore exploitation sexuelle. Des sujets forts, riches en émotion, voilà tout ce que semble retenir ce film. Un seul conseil donc, fuyez ce mélo révoltant tant il manque son sujet (alors que les réalisateurs ont eu le loisir de travailler ledit sujet) et revoyez, si vous voulez comprendre un peu le Cambodge, l’enfance, l’attente, et la beauté empoisonnée d’un pays qui perd le contrôle sur ses enfants, Holy Lola de Bertrand Tavernier. Le réalisateur, lui aussi, parlait d’enfance sacrifiée, de manque, de stérilité et d’impuissance (des terres comme des hommes), sans tomber dans l’émotion facile. « Aucune autre forme d’art que le cinéma n’utilise le langage de l’émotion, qui est le seul moyen d’atteindre d’autres êtres humains dans l’espoir d’un changement pérenne« , déclarait, dans le dossier de presse de Retour à la vie, sa réalisatrice, Ilaria Borrelli. Elle semble avoir oublié une chose, être ému n’est pas comprendre. Comprendre c’est avoir les clefs en main pour maîtriser une situation, connaître chacun des enjeux et protagonistes et non pas vivre un happy end nauséabond où seule retourne à la vie une femme qu’on ne parvient pas à aimer malgré son geste et en laissant complètement de côté la souffrance réelle des enfants qui sont revenus chez eux, certes, mais ne vivront plus jamais comme des enfants. Un bon sujet ne fait donc pas un bon film, loin de là. Au-delà de l’émotion, il y a l’analyse, c’est ça aussi la mission du cinéma et c’est comme ça que les changements se font vraiment.
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le 23 févr. 2015

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