Dans l’essai sociologique de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot trouve un point d’ancrage à un discours cinématographique sur le monde ouvrier français de l’après-guerre à nos jours. Ici, les fragments de Retour à Reims sont des épisodes biographiques, choisis par le cinéaste, de la trajectoire sur trois générations de la famille Eribon, dont la destinée a été tracée, voire muselée, par une suite de déterminismes sociaux. À travers sa famille (et la distance acquise par son statut de transfuge de classe), le sociologue produit une réflexion microsociologique intime qui illustre, par la banalité de la reproduction sociale, le portrait d’une classe sociale tout entière. En juxtaposant aux observations d’Eribon des entretiens audiovisuels contemporains, Jean-Gabriel Périot participe à ce changement d’échelle. En effet, entre le témoignage sociologique d’Eribon – interprété par Adèle Haenel – et les aveux des ouvrier.e.s issus des archives de Périot, un discours de la domination économique dans la France du XXe siècle émerge et cristallise une résilience commune, presque inhérente, face à un désespoir et une précarité partagés.
Ce sentiment d’appartenance à la communauté ouvrière est justement ce qui passionne Jean-Gabriel Périot. Retour à Reims (Fragments) marque alors les bordures rhétoriques d’un groupe social dont l’existence collective est le seul rempart à l’invisibilisation individuelle. La beauté du documentaire réside dans la représentation politique qu’il (re)donne à ces hommes et ces femmes proclamant ensemble, uni.e.s par le montage de Périot, la dignité inéluctable du monde ouvrier. Dans la France d’après-guerre, cette dignité résonne à travers le Parti communiste français (PCF). Or, l’échec de la Gauche institutionnelle (cf. la désillusion des deux septennats de Mitterrand et la déception du quinquennat d’Hollande) ébranle profondément l’identité ouvrière. Ainsi, l’extrême-droite devient le porte-parole d’une classe populaire meurtrie et nourrie par un racisme ordinaire – reposant sur l’illusoire besoin de l’ouvrier.e blanc.he d’exprimer une supériorité quelconque.
Avec la même rigueur méthodologique que le sociologue, Jean-Gabriel Périot documente la montée de cette dérive nationaliste. Cependant, le cinéaste refuse ce constat et propose, non sans emphase, un épilogue militant. De fait, Retour à Reims (Fragments) retrace également l’histoire de la représentation audiovisuelle du monde ouvrier : du noir et blanc des pellicules anonymes ou célèbres (de Zéro de conduite [Jean Vigo, 1933] à Chronique d’un été [Jean Rouch et Edgar Morin, 1961]), Périot conduit le.a spectateur.rice jusqu’aux images en haute définition des manifestations des gilets jaunes. Il dresse le portrait poétique d’un militantisme populaire, encore présent dans l’inconscient collectif, qui doit se reconstruire en dehors d’un populisme opportuniste. À l’instar de la joie – rapidement éteinte – d’un père de famille au moment de l’élection de François Mitterrand en 1981, il est nécessaire de pouvoir (ré)apprendre à ses enfants le verbe vivre (tristement supplanté par survivre) et la manière de le conjuguer à l’indicatif.