L’origine du projet est un film des années 70 réalisé par René Allio : Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. A l’époque, Nicolas Philibert était assistant de mise en scène sur le tournage du film d’Allio. Ce retour dans la région, trente ans plus tard, a plusieurs vocations. C’est à la fois revenir sur l’histoire du film, sa genèse, son déroulement autant qu’établir des correspondances avec le présent, rencontrer les personnes qui ont été au cœur du projet, entendre leur souvenir et s’intéresser à ce qu’ils sont devenu. Le film s’ouvre sur un quotidien d’élevage de cochons. Ce quotidien c’est celui de Joseph, paysan qui jouait le rôle du père Rivière dans le film d’Allio. Philibert raconte qu’il n’y avait que des acteurs non professionnels dans le projet, même le jeune Rivière avait été recruté sous le manteau. Et la plupart jouaient quasiment leur propre rôle puisqu’ils étaient les voisins d’untel, comme dans la vie. A l’image de cette séquence inaugurale, et un peu à la manière de Raymond Depardon, Nicolas Philibert approche le quotidien de paysans qu’il observe puis questionne. C’est aussi réinvestir les lieux. Les lieux d’un film qui fut pour lui fondateur mais aussi les lieux d’un drame du XIXe siècle, puisque Allio, à l’époque, avait choisi de tourner non loin des vrais lieux du drame. Retour en Normandie agit donc à la fois en tant qu’approche en décalage temporel, mais aussi en tant qu’hommage à Moi, Pierre Rivière, dont il pourrait être non pas le making-off (très peu de photos d’époque, aucun instantané de tournage) mais un document parallèle offrant un nouvel axe de lecture. Le film reprend par ailleurs nombreuses séquences de son modèle. Il ne les commente pas, ne justifie pas leur existence, elles se glissent naturellement dans ce récit au présent. On apprend beaucoup des difficultés de tournage et de distribution. Moi, Pierre Rivière est un film incroyablement amputé. Amputations nécessaires, autrement il ne serait jamais sorti. Après ça, René Allio ne fera plus beaucoup de cinéma, les acteurs éphémères non plus – mais ce n’est pas faute d’espérer recroiser un éventuel tournage, dira dans une séquence très drôle un paysan, qui jouait aussi dans le film d’Allio. Pierre Rivière, alias Claude Hébert, disparaît sans laisser de trace, puis réapparaît au chevet du cinéaste, mourrant, vingt ans plus tard, puis disparaît à nouveau, selon les mots de Nicolas Philibert. Retour en Normandie se termine sur l’explication d’une double recherche, l’une attendue, à savoir ce come-back de Claude Hébert dans la région, très émouvante, mais surtout, sans doute la plus belle idée du film (ainsi que de se terminer là-dessus), la recherche d’une image du père. Non pas celui de Pierre Rivière, ni celui de René Allio, mais celui de Nicolas Philibert, qui jouait un minuscule rôle (il était juriste je crois) dans le film, séquence faisant partie de ces innombrables coupures du montage final. Tenter de débusquer cette chute, cette image perdue. Une image de mon père, dira Philibert d’une humilité bouleversante. Le film se termine comme ça : par cette courte scène, muette, où ce père semble dire quelque chose. Des mots étouffés par un silence de mort.