Michael Mann nous livre un Heat politique
En 1995, le réalisateur Michael Mann se faisait un nom au cinéma. Il avait beau être le producteur de la série Deux flics à Miami et être le cinéaste responsable des films Le Sixième Sens (la première adaptation de Dragon Rouge et non le film avec Bruce Willis) et du Dernier des Mohicans, c’est avec Heat qu’il a obtenu la reconnaissance. Aussi bien auprès de ses confrères que du public. En même temps, orchestrer le face-à-face entre Robert De Niro et Al Pacino, avec toute une ribambelle d’excellents petits camarades (Val Kilmer, Tom Sizemore, William Fichtner, Jon Voight, Ashley Judd, Danny Trejo, Ted Levine, Natalie Portman, Hank Azaria…), de la manière la plus classe qui puisse exister (le film devenant un modèle pour tous les divertissements de braquage), nous ne pouvons l’oublier aussi facilement. C’est donc avec un certain enthousiasme que je découvre le film qui lui fait suite (dans la filmographie de Mann), Révélations. Et le résultat s’avère être à la hauteur !
Point de départ de ce film : un simple article publié dans Vanity Fair. Qui parlait d’un homme, Jeffrey Wigand (docteur de profession), qui travaillait pour Brown & Williamson Tobacco Corporation, une entreprise qui fabriquait des cigarettes, et qui tenta de tout révéler sur un des composants utilisés jugé cancérigène, recevant en échange des menaces de mort. En bref, une sorte de thriller politique, avec quelques séquences de tribunal et du suspense, dont les Américains sont assez friands. Surtout quand un tel film fait intervenir de véritables monstres du cinéma. Mais cela, nous y reviendrons plus tard.
Révélations, c’est l’histoire de ce Jeffrey Wigand. Ou plutôt sa pénible descente aux enfers. Lui, qui avait tout : une splendide maison, une femme aimante, deux petites filles sous son aile, des relations qui foisonnaient… Jusqu’à ce qu’il décide de tout révéler. Et cela non pas du jour au lendemain ! En effet, le bonhomme se fait virer, et puis c’est tout. Il suffira juste de l’intervention d’un journaliste pour que tout bascule. Pour qu’il soit poussé à donner une interview dans le but de dénoncer. C’est à partir de là que les choses se gâtent pour notre homme : un sentiment de paranoïa prend forme, des menaces de morts apparaissent, les enfants commencent à avoir peur, sa femme comptent bien le quitter pour se mettre à l’abri… Oui, son épouse se montre très cruelle envers lui. Ne le défendant jamais. N’étant jamais à ses côtés quand il le fallait. S’interrogeant tout de suite sur leur situation financière à l’annonce du licenciement de son époux. Tant de détails de ce genre, plutôt mesquins, qui la pousseront à partir. Et à laisser Jeffrey tout seul dans sa misère. Faisant de Révélations un film incroyablement touchant, qui suit cette déchéance avec une puissance inimaginable et une ironie plutôt salace : cet homme qui essaye de bien faire et qui se retrouve finalement à tout perdre.
Une histoire dramatique qui ne serait rien sans l’intervention de la presse dans tout cela. Car, avant tout chose, Révélations met surtout le monde journalistique sur le devant de la scène. Car c’est bien à cause de celui-ci que Jeffrey Wigand subit un tel calvaire. Le journaliste Lowell Bergman étant l’élément déclencheur. Celui qui l’a, en quelque sorte, forcé à participer à une émission de télévision dans le seul but de révéler certains secrets. Lui qui, comme ses confrères, ne pensent qu’à faire de l’audimat, à mener à bien son job pour garder sa renommée. Au point de se soucier peu du sort de leurs sources. Fort heureusement pour Wigand, Bergman ne se montrera pas aussi indifférent (quoique qu’à certains moments…). Où il apporte une aide à tout cela, mais en restant impuissant face aux événements qui s’en suivent. Et c’est là aussi que Révélations trouve également toute sa puissance : ce journaliste qui déclenche tout à cause de son éthique professionnelle et qui ne peut rien faire pour éviter cette descente aux enfers vécue par sa source. Donnant ainsi une place peu emballante au domaine de la presse dans ce film, qui est constitué de dirigeants qui ne pensent vraiment qu’à sortir les gros titres qui arrangent la majorité (et ce même si les intéressés sont dans le camp adverse).
Ajoutez à cela une mise en scène comme Michael Mann n’en a jamais livré, et vous obtenez un véritable chef-d’œuvre visuel ! Par là, il faut bien entendu s’attendre à des plans finement travaillés, des jeux de lumière somptueux et une bande originale prenante qui, ensembles, permettent à la mise en place d’une atmosphère exceptionnelle. Qui nous happe aussitôt ! Celle qui nous fait partager chaque sentiment éprouvé par les personnages principaux (la paranoïa, l’impuissance, la désolation, la solitude…) avec un savoir-faire qui offre à Révélations la même classe qu’à Heat.
Et n’oublions pas le casting, d’une envergure titanesque. Il est vrai que niveau noms, la distribution de Révélations en possède bien moins que Heat. Mais cela montre à quel point la prestance d’un casting (le fait d’afficher X stars au générique) importe peu au film. Suffit juste de choisir les bons comédiens. C’est justement sur ce point que Révélations supplante la concurrence, car même les seconds rôles (Christopher Plummer, Philip Baker Hall, Colm Feore, Gina Gershon, Michael Gambon, Rip Torn…) sont tout bonnement excellents. Mais tout de même loin derrière un Al Pacino égal à lui-même, dont le jeu « je m’en foutiste » réussi grandement à son personnage. Le comédien étant également à son tour loin, loin derrière un extraordinaire Russell Crowe, qui n’en était qu’à la « veille » de Gladiator et d’Un homme d’exception. Montrant déjà qu’il est encore aujourd’hui l’un des « meilleurs grands acteurs » de sa génération.
Assister à 2h38 d’un thriller politique, cela peut paraître assez long pour la plupart des spectateurs. Mais tout comme Heat (qui durait pas loin de 2h50), Révélations se montre haletant, prenant et donc jamais ennuyeux. Un nouveau chef-d’œuvre à rajouter à la filmographie de Michael Mann qui sera compléter par la suite d’Ali et de Collatéral. Malgré une future baisse de succès (Miami Vice et Public Enemies), le réalisateur reste un incontournable du thriller hollywoodien. Surtout que garder le prestige de Heat pour un film qui lui fait suite et étant d’un genre totalement différent, il fallait le faire !