Et si Mad Max intégrait le lobby LGBT de Gotham ?...

...on aurait peut-être droit à quelque chose proche du Revengers Tragedy d'Alex Cox.


Ce film est adapté de la pièce de théâtre éponyme publiée anonymement en 1607. La pièce fut attribuée à posteriori à un certain Cyril Tourneur mais aujourd'hui les spécialistes reconnaissent globalement la paternité de l'oeuvre à Thomas Middleton, tout ce beau monde étant contemporain de Shakespeare.


Dans la pièce source et son adaptation cinématographique, l'intrigue est la même. Vindice rumine sa colère depuis que le Duc a empoisonné sa femme, il jure donc de se venger de lui et de sa famille. Il se fait alors passer pour un entremetteur afin d'approcher la famille du Duc dont tous les membres ont un intérêt commun pour la luxure.


L'Italie de la pièce est transposée dans un Liverpool glam-punk post-apocalyptique. Autant dire qu'il y a comme un petit gouffre entre les deux.
Mais je dois admettre que du point de vue de la réécriture, le film n'est pas raté. Il arrive à jongler habilement entre prise de libertés et respect du support original. Quand on prend conscience du côté totalement stupide du film ça peut surprendre, mais bien que le film pousse cet aspect encore plus loin, les personnages du bouquin ne sont pas des flèches non plus.


Et c'est ça qui fait tout le côté nanar du film et qui lui vaut aussi une certaine sympathie que j'ai eu du mal à m'avouer, mais qui me permet aujourd'hui de lui octroyer un cœur. Tout le monde est débile. Mais attention, les personnages ne sont pas légèrement inconscients ou gentiment niais, non, ils sont tous royalement cons :



  • Vindice, joué par Christopher Eccleston, qui oscille entre folie furieuse et ultra violence en faisant parler le crane de feu sa femme et en défouraillant du méchant en mode badass.

  • Lussuriosso, le moins débile des fils du Duc, mais toujours très loin du prix Nobel, interprété par Eddie Izzard et affublé d'une barbe ridicule.

  • Le Duc, personnifié par un Derek Jacobi en surpoids et déguisé en Karl Lagerfeld, risible et répugnant ainsi que ses autres fils, véritables abrutis entre Bowie en carton et punk androgyne à piercings qui courent partout en piaillant.


Cette galerie de personnages souligne d'entrée le jeu le parti pris pleinement assumé de la part du réalisateur de faire un film totalement extravagant, surjoué et ultra théâtral. En résulte un film que je m'ose à qualifier de "complètement gay" dans cette caricature absurde de l'androgyne déluré. Rien de péjoratif de ma part, je vous assure.
Tout dans ce film est d'une bouffonnerie ultime et d'une excentricité exemplaire.
Je vais essayer de vous en décrire les éléments les plus représentatifs et croustillants :



  • Dès le début, Vindice s'adresse à la caméra, brisant le 4e mur au tractopelle. Aucune distance n'est créée pendant 1h49.


  • La musique est à mourir de rire ou de honte, j'hésite encore. Au début on a le droit à du synthé à la Twin Peaks low cost, puis du badass Rocky-like pour finir sur de la techno à la Darude. C'est absolument n'importe quoi et ça décrédibilise encore plus les scènes qui ne bénéficiaient déjà pas d'une grande crédibilité.


  • C'est ultra référencé, mais assez n'importe comment. Vindice, dans le rôle du vengeur à moitié fou et très violent dans un monde post-apo se rapproche de Mad Max assez clairement, mais version kitsch. L'influence des Batman de Burton se fait également ressentir entre l'aspect de la ville et la galerie de personnages bouffons. Les maquillages et le côté décalé de certains comportements des protagonistes semblent empruntés à Orange Mécanique également. En résulte une bouillie glam punk kitsch au royaume du ridicule.


    Certains penseront immédiatement à Tarantino en voyant la boucherie finale dans laquelle tous les personnages perdent leur caractère sacré et sont descendus les uns après les autres (// Inglourious Basterds). En réalité, la pièce d'origine est comme ça et ce n'était pas si rare dans les pièces élisabéthaines (cf. Titus Andronicus de Shakespeare ou Edward II de Marlowe) donc il est plus correct d'avancer que c'est Tarantino qui fut influencé par ce théâtre subversif.


  • Les personnages alternent entre tirades issues directement de la pièce donc en anglais élisabéthain et petites répliques en langage courant voire familier (des "fuck you" qui sortent de nulle part pourront provoquer chez vous l'hilarité ou la consternation, c'est au choix).


  • Les thèmes abordés sont très crus et violents. La pièce et le film par extension traitent quand même d'inceste explicite, de nécrophilie et de meurtres brutaux. Mais comme la majorité des personnages sont des demeurés efféminés auxquels il est impossible de s'attacher, la dimension extrême de l'oeuvre d'origine est atténuée.


  • Les effets spéciaux sont ignobles. Difficile de ne pas admettre que l'on est en face d'un nanar avec ça. Mention spéciale aux transitions entre les plans, on a le droit à des effets dignes d'Open Office pendant la moitié du film (les volets sont atroces)


  • Tout comme la pièce, c'est truffé d'incohérences, mais le film réussit le tour de force d'en apporter de nouvelles. Vindice après la mort de sa femme disparaît et quand il revient pour se venger (première scène du film) il a juste les cheveux coupés mais ça suffit quand même pour que personne ne le reconnaisse. Esnuite, alors que Vindice est sous déguisement, il mentionne sa réelle identité à Lussuriosso et celui-ci ne réagit pas le moins du monde. Plus tard dans le film Vindice reprécise son véritable nom et le fils du Duc percute enfin. Et je vous en épargne de nombreuses autres.


  • Et un des pires éléments : c'est bourré de clichés cinématographiques. Au hasard on a : les protagonistes montent un plan alors on a un timelapse avec guitares saturées pendant lequel on les voit mettre en place leur projet et une fois le plan réussi ils rient tous ensemble de manière forcée. Ah et le fameux journal qui tourne pour montrer qu'un rebondissement est rendu public.



Finalement, Revengers Tragedy est un ballet de personnage sans aucune profondeur, tous avides de pouvoir. C'est une grande farce qui tombe à plat, une blague qui parle d'inceste et de massacre sanglant.
Mais après tout, malgré tous ces défauts, Revengers Tragedy n'arrive pas à m'apparaître antipathique. Juste profondément attardée ; et j'avoue avoir lâché à plusieurs reprises des rires dont j'ai eu une honte la seconde d'après mais qui m'ont conforté dans l'idée que ce film n'est pas tant une perte de temps que ça.

Raton
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le 20 nov. 2015

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