Je trouve ça très beau, très honnête. J'aime beaucoup la façon dont le cinéaste se pose les questions du réalisme au cinéma. Il arrive à la fois à capter le réel et lui offrir une inspiration romanesque. On peut croire que le film ne joue que sur un seul ton, mais je le trouve beaucoup plus retors et cruel que cela dans sa construction.


Il y a d'abord trois personnages éblouissants, trois ados guatémaltèques qui décident d'immigrer vers les Etats-Unis. Il y a un garçon, Juan, un autre garçon qui ne parle pas un mot d'espagnol, Chauk, et une fille dont ils sont tous les deux amoureux, Sara, les cheveux coupées et les seins plaquées, qui se fait passer pour un troisième garçon. Ce personnage est le plus beau de tous. D'abord parce que c'est une fille, une fille qui se cache mais qui concentre tout sur son regard et sur son corps hybride. Un trouble se joue à l'image, sur lequel le cinéaste joue jusqu'au bout. Un événement inattendu survient pourtant : victime d'une rafle par des proxénètes au cours du voyage, dénudée et renvoyée à sa féminité cachée, Sara disparaît du film.


Il y a dans la disparition de ce personnage un acte véritablement politique, d'une grande cruauté : Sara disparaissant, c'est l'épaisseur sentimentale et humaine qui sort du film. Il n'y a plus cette figure féminine (évidemment ambivalente et troublante puisqu'elle est transformée en garçon), ce jeu amoureux qui s'était installé dans le film, cette sensualité douce qui s'était posée là. Parce que le cinéaste filme merveilleusement le corps de ces enfants, qui s'entrechoquent, se touchent le coeur, les seins, dansent ensemble, s'embrassent. C'est à la fois érotique, mais d'un érotisme secret, qui ne regarde qu'eux, et qui donc n'est jamais tendancieux. Le cinéaste allie ça avec les racines, les feuilles, les arbres, la nature calme qui porte les difficultés et les réalités terrestres. Et cette disparition perturbe cette équilibre, elle relance tout.


Ce que je trouve bouleversant, aussi, c'est que jamais les deux garçons (puis seulement Juan à la fin du film) n'ont le temps de s'arrêter pour pleurer la disparition de l'autre. Il doivent avancer, continuer, accepter de perdre tout ce que le film avait mis en place autour d'eux, c'est à dire le jeu de leur adolescence. A la fin, à la place du corps de Sara, ce sont des bouts de viande sur le sol d'une usine de Los Angeles que le cinéaste filme. C'est terrible, et c'est par ce prisme étonnant et cruel que s'établit un véritable regard politique : on regarde les déchets du monde capitaliste dans des plans martelés avec une insistance peut-être un peu calculée, mais qui dessine avec acuité et rage les contours d'une vie de misère. Mais c'est aussi la fin de l'adolescence que l'on voit, d'une sensualité réduite à des morceaux de viande, d'une chair qui n'est plus humaine, qui ne respire plus, mais qui gît sur le sol triste de l'usine. L'adolescence, son appel au regard de l'autre, à sa confrontation aussi, à sa sexualité, à son trouble ; est perturbée, ratatinée. C'est à la fois interpellant et émouvant. Dans trois regards qui s'entrecroisent et se cassent, on dit quelque chose d'une situation qui est grave et qui brûle à grande échelle (celle du sort des immigrés), et pourtant on trouve le temps de regarder le parcours d'un personnage qui se forme et sa respiration déréglée. Comme un roman d’apprentissage qui ne demandait qu'à épanouir, mais contre lequel la réalité vient se buter et contaminer chaque plan. Le film n'a donc pas d'autres choix que de continuer à chiffrer, dénombrer, scruter dans l'image ce qui reste d'espoir et de temps au héros : pas plus qu'un long regard sur la neige qui tombe, toujours dans la direction opposée des aventures passées, et qui avance dans une nuit terrible et sans promesse. La poésie rejoint le politique, et frappe très fort, très juste : j'en suis sorti très ému.

B-Lyndon
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le 23 mars 2015

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B-Lyndon

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