Rewind
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Documentaire de Sasha Neulinger (2020)

"I'm lucky to have my whole life ahead of me."

Nouvelle entrée documentaire pour compléter la rubrique de ces témoignages intimes, profonds et particulièrement émouvants, des films qui sondent en profondeur le passé, la famille, et les secrets enfouis ici au creux des images scellées dans les kilomètres de pellicule que le père du réalisateur-protagoniste a accumulés pendant des dizaines d'années. On parle souvent des vertus thérapeutiques de l'exploration des traumas de l'enfance a posteriori, et Rewind va bien au-delà de ça en proposant un rembobinage existentiel qui permettra non seulement à Sasha Neulinger de comprendre ce qui s'est joué lorsqu'il n'était même pas encore adolescent, mais aussi d'identifier et condamner les coupables d'agressions sexuelles au sein du réseau familial. La nature des traumatismes déterrés est du même ordre que celle du travail de Tracey Arcabasso Smith dans Relative, et l'amplitude du regard sur le passé rappelle deux autres documentaires contenant une puissance émotionnelle semblable, Minding the Gap de Bing Liu et Sam Now de Reed Harkness.


Plus on creuse le sujet et plus on retrouve les mêmes racines à ces maux : suite à la découverte de violences sexuelles commises sur des enfants par des personnes appartenant au cercle familial restreint ou étendu, on peut noter d'une part la défaillance ponctuelle d'une autorité compétente extérieure (malgré les signalements et l'aide explicitement demandée, rien n'a été fait en premier lieu pour protéger les personnes vulnérables) et d'autre part la prédominance d'un sentiment de honte partagé par le noyau familial empêchant toute prise de disposition majeure (avec pour corollaire assez dramatique l'acceptation des personnes coupables dans l'entourage direct des victimes).


Ce qui rend incroyablement émouvant un film comme Rewind, de la même façon que Relative, c'est le côté vertigineux de l'entreprise d'archéologie photographique et vidéo : en passant en revue des années de films amateur, des images récurrentes structurent peu à peu le contexte, précisent les conditions dans lesquelles les agresseurs ont agi, et mettent en lumière des mécanismes de transmission de ces violences d'une génération à l'autre. Au-delà du cercle familial direct, Sasha Neulinger est allé à la rencontre d'un psychiatre qui l'avait suivi enfant (la visualisation des dessins d'époque est particulièrement édifiante), ainsi que d'un détective et d'un avocat (l'examen des éléments conduira à des poursuites pénales pour trois agresseurs, dont un procès très médiatisé d'un haut responsable religieux).


La démarche du principal intéressé est très belle, apaisée mais résolue, et explore une variété de registres assez surprenante allant de l'exploration de la sphère intime aux dommages collatéraux que l'exercice de la justice peut occasionner sur les victimes. La précision avec laquelle sont reconstruits les espaces manquants entre les souvenirs conduit à un portrait aussi courageux qu'attachant de Neulinger, comme si on découvrait en même temps que lui la dimension cyclique des événements et les difficultés de ce genre de procédure judiciaire, à mesure que les extraits des vidéos familiales a priori insignifiants deviennent de plus en plus sinistres — et cathartiques. Dans l'enceinte vide du tribunal, après avoir relu des extraits de son témoignage étant enfant, il affirmera dans un grand soulagement : "I realize how incredibly lucky I am to have my whole life ahead of me".


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Morrinson
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le 16 sept. 2024

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