Rikyu
7.1
Rikyu

Film de Hiroshi Teshigahara (1989)

La Carte Brulée était un semi-ratage : sans même évoquer les aléas d'un script brouillon, inutilement tarabiscoté et fort éloigné des autres coopérations avec Kōbō Abe, en étant passé à la couleur Teshigahara n'aura fait que transposer sans l'adapter sa grammaire noir et blanc. Forcément, ça ne marche pas et, dès lors, l'on perdait tous les jeux d'ombres et de matières qui rendaient ses films si envoûtants, allant même jusqu'à ressembler à du téléfilm dans des décors très, trop, typés Japon des Sixties, annihilant alors l'ambiguïté des fantaisies précédentes. Pour preuve, il passera, juste après, à la réalisation pour la télévision.


17 ans après les Soldats de l'Eté, Teshigahara revient et avec de surcroît un long-métrage totalement différent : plus de Kobo Abe, la musique de Toru Takemitsu se fait bien plus douce, plus de marivaudage avec le fantastique. Il aura peut-être fallu tout ce temps de maturation, de germination, il aura peut-être fallu ce documentaire sur Gaudi pour réellement se défaire du noir & blanc, se défaire du Kafka japonais et pour maîtriser la couleur dans toutes ses possibilités.
Personnellement, et pour prendre un exemple sans aucun rapport, cela me fait songer en bien plus douloureux au passage d'Odilon Redon de ses Noirs à ses pastels éclatantes. Les meilleurs coloristes doivent sans nul doute venir du monochrome .

Le film est très dense, joue de l'ellipse ou plutôt de la connaissance de son audience des grandes lignes de l'époque, de ses personnages et de leurs idées.
Son thème est celui déjà bien rebattu des trois grands unificateurs du Japon, c'est-à-dire l'épisode historique le plus important de l'histoire du Japon avec la Restauration Meiji, qui connaît ici un second souffle grâce à cette focalisation par le petit bout de la lorgnette qu'est Rikyu, le plus célèbre des maîtres du thé, et sa relation particulière avec le daimyo Toyotomi Hideyoshi. Les luttes de pouvoirs, les guerres de clans vues par un maître zen. Oublions donc les batailles de Ran, quand les soldats passent, ici on marche sur le bas-côté, dans la bambouseraie. On appréciera également de ne pas oublier la présence et l'importance économique et culturelles, à cette époque, des Portugais et des Chrétiens avant leur expulsion par Hideyoshi.



On songe lors de nombreux plans, tantôt aux couleurs éclatantes d'Akira Kurosawa dont le souvenir flotte sur tout le film tantôt aux plus fameux emaki, ces longs rouleaux horizontaux qui illustraient les monotagari et la vie de palais en vue d'oiseaux, permettant un jeu de panneaux, de niches, de bandes colorées. Le film se pare ainsi de magnifiques teintes dorées, miellées, parfois pointées de bleu ou liserées de vert aux ombres diaphanes. Les teintes sont toutefois le plus souvent simples, nuancées.
L'esthétique du film semble bien mettre en pratique ce que Rikyu lui-même aura prôné ; la beauté dans la simplicité et le dépouillement.

Sans tomber dans une lourdeur psychologisante mais souvent par de minutieux et subtils effets de mise en scène et servi par le jeu de ses acteurs, l'un en retenu, l'autre dans l'exubérance, Teshigahara parvient parfaitement à rendre le personnage de Rikyu, son orgueil, ses tiraillements entre sa recherche spirituelle, son art en tant que maître de thé et les impératifs politiques, forcément pas toujours des plus nobles, de son maître. Notamment le projet de ce dernier d'envahir la Chine. On regrettera peut-être toutefois que les zones d'ombres de Rikyu ne soient pas plus explorées.
Cet amour vache, cette opposition vieille comme le monde, est surtout soulignée par les somptueux décors et costumes : l'un vit paré de lourds kimonos, faisant le paon, affublé de barbes postiches, dans son palais décoré de riches panneaux dorés de l'Ecole Kano tandis que l'autre, avec ses vêtement simples, mats, exerce dans ses maisons de thé qu'il construit souvent le plus simplement possible avec des matériaux naturels et agrémentée non plus des fonds dorés mais de la peinture Zen monochrome. Ne retrouverait-on pas ici ce même jeu des contrastes du noir et blanc mais adapté au monde des couleurs ?

Cela étant, le film n'évite pas un petit côté catalogue de l'époque, tout ce qui entourait cette cérémonie du thé et le pouvoir : fabrication d'un bol à thé, peinture d'un shoji, statue du grand sculpteur Kokei, théâtre No, arrangement floral, etc. Mais l'on connaît l'amour et la connaissance du cinéaste pour tout cela, lui qui était fils d'un maître de l'ikebana et qui fut peintre amateur.


Sauf que ! Sauf que cette énumération, en plus de faire respirer le film, de le densifier, de nous montrer – plus que de nous expliquer – ce vers quoi Rikyu tendait, ce pour quoi vécut Rikyu, offre ce plan d'artisanat tout simple, tout bête, anecdotique peut-être, mais prenant pourtant, de ce petit bol raku que l'on sort tout chaud du four, orange comme du fer et qui à vue d'œil, en quelques secondes à peine, refroidit et prend sa teinte sombre définitive. Le contre-point, en somme, de la cinématographie de Teshigahara.
Nushku
8
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le 10 oct. 2014

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