Alors que Mathilde Carton vient de sortir aux excellentes Éditions Le Mot et le Reste un nouvel ouvrage sur les Riot Grrrls, bouquin dont j'aurais sans doute l'occasion de parler prochainement, un petit retour sur un reportage sur le même thème produit par Arte en 2014 et diffusé sur cette chaîne n'est pas inutile.
"Quand les filles ont pris le pouvoir" est donc un documentaire réalisé par Sonia Gonzalez sur le mouvement Riot Grrrls, mouvement né à la toute fin des années 80 et au début des années 90 à Olympia (État de Washington) petite ville universitaire américaine, située non loin de Seattle et qui a eu une influence importante tant sur un plan politique, social, féministe que culturel et musical.
Le documentaire montre les débuts du mouvement (qu'on a qualifié de façon un peu réductrice de punk féminin), les obstacles qu'il a rencontré, le rôle joué par les fanzines, le machisme de la scène punk hardcore de l'époque (à de rares exceptions comme Fugazi et d’autres groupes de Washington DC), le courage dont ont dû parfois faire preuve les musiciennes, sans oublier l’aspect délibérément provocateur et le non conformisme du mouvement, l'esprit ouvertement « Do it yourself », le côté « amateur » ouvertement assumée...
A l'époque dans l'univers du punk (au sens large) peu de filles officiaient en tant que groupes.
Raincoats et Slits formations de la fin des seventies et du début des eighties n'ayant pas fait énormément d'émules même si certaines chanteuses avaient tiré leur épingle du jeu (Siouxie Sioux et Poly Styrene – de X Ray Spex - notamment).
Et puis les filles ne se retrouvaient pas forcément dans les textes des groupes masculins y compris ceux politisés, elles voulaient écrire des chansons qui parlent de leurs problèmes et de leurs préoccupations avec leurs mots à elles, aborder des thèmes qui ne sont jamais évoqués (viol, inceste, menstruations, violences machistes...).
On retrouve dans ce documentaire pas mal d'images d'archives des plus intéressantes, entrecoupées d'interviews réalisées dans les années 2010, notamment de Kathleen Hanna (Bikini Kill), Allison Wolfe (Bratmobile) et Becca Abbee (Excuse 17), chanteuses de quelques-uns des principaux groupes de l’âge d’or des Riot Grrrls.
Évidemment dans un format de 52 minutes impossible d'aborder toutes les problématiques et thématiques d'un mouvement de contre-culture aussi riche.
Ça reste un peu trop scolaire, pédagogique, le ton académique du commentaire est parfois un peu irritant. C'est parfois aussi un peu trop sage. Du Arte « pur jus » pourrait-on dire (heureusement les scènes de concert mettent un peu de piment et de piquant !!).
Mais le tout reste plus qu’intéressant, notamment pour quelqu'un qui ne connaîtrait rien sur le sujet. Et le documentaire cerne bien malgré tout, et c'est là le principal, l'essentiel du mouvement.
Autre petit bémol : il est un peu dommage que le documentaire accrédite la thèse « fumeuse », très à la mode depuis quelques années, d’une possible filiation entre les Riot Grrrls et des artistes comme Beyoncé, les Spice Girls...
Heureusement sans toutefois trop s'attarder ce point ! Ouf !!
Malgré tout un documentaire à voir car l'histoire des Riot Grrrls demeure toujours trop méconnue (et il reste encore beaucoup de choses à faire bouger en 2021 pour la reconnaissance du rock féminin !)
PS : Une reconnaissance du mouvement 30 ans après c'est bien, évidemment, et loin de moi l'idée de vouloir laisser les Riot Grrrls dans un underground poussiéreux mais on se demande où donc étaient à l'époque tous ces gens (médias, universitaires...) qui encensent aujourd'hui ce mouvement musical féministe.
C'est malheureusement typique des "spécialistes" de la culture qui sont complètement passés à côté d'un mouvement (qu'ils ont parfois même violemment dénigré et c’est le cas pour les Riot Grrrls) et qui essaient, depuis quelques années, tant bien que mal de rattraper le coup !
A l’époque pour refuser toute récupération et toute déformation les Riot Grrrls avaient décidé dans leur large majorité de boycotter tout médias mainstream et ont fait preuve d’une solide intégrité, pas toujours facile à gérer.
Et de ce point de vue-là le documentaire de Sonia Gonzalez a le mérite de rappeler quelques principes originels de base du mouvement.
Bikini Kill s'est réformé en 2019 et à chacun de leur concert les billets s'arrachent à une vitesse folle... D’une certaine manière on peut dire que les Riot Grrrls ont gagné leur pari. Être crédible en tant que groupes de rock féministes engagés.
(Le documentaire chroniqué est disponible sur YouTube)
Interview de la réalisatrice :
https://thefifthsense.i-d.co/fr/article/de-beyonce-aux-spice-girls-ce-que-la-pop-doit-aux-riot-grrrl/
Signalons également pour ceux intéressés par le mouvement Riot Grrrls le très bon bouquin de Manon Labry " Riot Grrrls : chronique d'une révolution punk féministe", pas forcément toujours très objectif mais néanmoins incontournable.
https://www.senscritique.com/livre/Riot_grrrls/19241547
Mathilde Carton : Riot Grrrl Revolution style now
https://www.senscritique.com/livre/RIOT_GRRRL_Revolution_Girl_Style_Now/44876371