Qui aurait pu croire, en 1987, qu'un blockbuster au titre aussi improbable que "Robocop" et affichant une tagline à faire pâlir Manuel Valls ("50 % homme, 50 % machine, 100 % flic", j'adore !) renfermerait autant de trésors, autant de niveaux de lectures tout en offrant un spectacle total aux spectateurs qui se souviendront encore de lui plus de vingt ans après sa sortie ?
Ultime chance du metteur en scène Paul Verhoeven de se refaire une santé après l'échec de son monumental "La chair et le sang" qui avait suivi son exil d'une Hollande bien trop conservatrice, "Robocop" est la preuve évidente qu'à une certaine époque, il était encore possible de balancer à la face du public un produit fait pour ramasser un paquet de pognon mais cachant dans ses entrailles une palanquée d'éléments subversifs.
Sorte de version contemporaine du précédent film de Verhoeven montrant la police comme des chevaliers des temps modernes donnant leur vie pour lutter contre une criminalité de plus en plus exacerbée, "Robocop" dépeint un futur étonnamment crédible, loin de tout futurisme à deux balles, car avant tout basé sur un présent à peine exagéré, surtout si l'on se penche sur ce que sont devenus des villes comme Détroit. Le film du hollandais violent a incroyablement bien résisté aux ravages du temps (si l'on excepte peut-être les tenues des flics, un brin datées S-F 80's) et conserve encore toute sa puissance.
Critique acerbe et goguenarde d'un capitalisme fou et incontrôlable transformant l'humain en chair à pâtée au nom du dieu Dollar, miroir à peine déformé de la société de l'époque (et actuelle ?), "Robocop" laisse encore sur le cul par sa liberté de ton, faisant preuve d'un cynisme et d'un humour noir proprement ahurissant pour un film hollywoodien, où même la scène la plus violente sera capable de vous arracher un sourire par le biais d'un subtil sous-entendu, à l'image d'un final complètement con en forme de gigantesque farce.
Mais "Robocop" est aussi et surtout une relecture schizophrène du mythe de Prométhée, le portrait bouleversant d'un homme ayant tout perdu et ne sachant même plus ce qu'il est, s'il doit encore se considérer comme un être à part entière ou simplement comme un produit interchangeable et dénué de la moindre âme. Une réflexion passionnante sur la sempiternelle question: la machine a--t-elle une âme ?, qui n'est bien évidemment pas sans rappeler "Blade Runner", sorti quelques années avant.
Dans un rôle aussi tragique que casse-gueule, Peter Weller est exceptionnel, parvenant à faire passer toute une gamme d'émotion tout en restant crédible en tant que cyborg. Un rôle éprouvant qui lui collera malheureusement à la peau et qui ne lui offrira pas la carrière qu'il aurait du avoir. Le reste du casting est lui aussi parfait, d'une Nancy Allen transfigurée à un Kurtwood Smith terrifiant, en passant par Ronny Cox, salopard de haute envergure, et par Paul McCrane, bien loin de "Fame".
Maîtrisant aussi bien une violence grand-guignolesque (surtout dans la version uncut) que la suggestion (les premières apparitions saccadées de Robocop), Paul Verhoeven accouche d'un spectacle malade et carrément christique, un authentique chef-d'oeuvre annonçant l'air de rien la mode des super-héros sur grand écran, une sorte de melting-pot frappadingue visuellement impressionnant (encore merci aux maquillages de Rob Bottin et aux effets de Phil Tippet), contre toute attente émouvant, aussi traumatisant qu'il peut-être drôle, monument désormais intouchable de la S-F rythmé par la partition magistrale de Basil Poledouris.