Comme chaque tueur en série le sait, il y a un moment où l’heure n’est plus aux fantasmes, il faut passer à l’acte. Quand les dessins et gribouillis d’artiste ne suffisent plus à réprimer ses obsessions et que le ras-le-bol de l’inaction se fait ressentir, c’est qu’il est temps d’agir pour retrouver un nouvel élan d’inspiration. Rien ne vaut une une série de meurtres sauvages et brutaux, qui rendront en même temps un grand service à l’ensemble de la communauté. Et ce n’est pas un policier adepte des méthodes de l’Inspecteur Harry qui s’opposera à ce vaste coup de filet.
The Punisher
Mine de rien, le long métrage de J.R. Bookwalter devance de 20 ans les films de super-héros décalés de la dernière décennie (Super, Kick-Ass). Politiquement incorrect, Robot Ninja est à l’image de ses congénères contemporains : un fantasme de Punisher qui débarrasserait la vermine des rues de façon expéditive, soulevant le débat sur une forme de justice personnelle et punitive dont les américains sont tellement friands. Le héros désigné par Dave Lange est un ninja orné d’un masque de fer et équipé d’une griffe acérée, sorte d’hybridation qui puise son inspiration chez Wolverine et Batman. Comme ce dernier, notre Robot Ninja est assisté par son fidèle ami GoodKnight (un simili Alfred), créateur de props pour le cinéma qui lui concevra la panoplie complète pour l’aider dans sa quête.
Léonard Miller est un créateur de comic book lassé par des producteurs avides d’un succès mainstream conforme aux conventions établies, édulcoré de toute forme de violence outrancière. Son héros dispose de sa propre série TV destinée à une jeunesse que l’on assène de leçons moralisatrices lourdingues et pontifiantes. Mais à l’instar de Franck Miller avec lequel il partage le même nom, son style s’apparente à un comics subversif pour public avertis.
En sortant de son boulot, le personnage sera témoin d’une agression à laquelle il tentera de s’opposer avant de se faire violemment rétamer par un groupe de punks qui enlèvent des gens dans leur fourgon, avant de les violer, les dépouiller et les tuer. Oui, ça ne rigolait pas dans les années 80. L’artiste sujet aux troubles borderline va alors se réapproprier sa création pour assouvir ses pulsions meurtrières et vengeresses, qu’il retranscrit ensuite sur ses planches de dessins. Mais à défaut de super pouvoirs, il lui faudra apprendre les arcanes du métier de justicier.
Entre réalité et fantasme
Les rixes et mises à morts se succèdent (lames enfoncées dans les yeux, démembrements, tabassages et coups de feu tirés à bout portant qui explosent et déchiquettent les chairs), sans que l’on sache réellement quel est la part de réalité et de fantasme. Cette ambivalence se niche dans les détails d’une mise en scène atmosphérique alternant entre réalisme brut et des accents oniriques (séquences nocturnes, effet de brume et éclairages argentesques). Évidemment ces scènes constituent une plus-value bienvenue pour les bisseux en quête de sensations fortes notamment lorsque des zombies s’invitent à la fête.
J.R. Boowalter a su trouver le parfait équilibre entre cynisme et humour noir. Si les situations dépeintes déforment et mettent à mal l’effet de réalité qu’une série B chercherait volontairement à retranscrire, Robot Ninja perpétue la tradition d’un cinéma bis subversif et décomplexé où les fulgurances des séquences à effets spéciaux priment sur le récit. On rigole de bon cœur face à cette naïveté artisanale bricolé et amateur et l’on s’amuse de ce portrait dressé au vitriol du monde de la télévision, avec ses agents aux dents longues et producteurs trop influents.
Bien que dépourvu de moyens, Robot Ninja n’est donc pas dénué de bonnes idées de mise en scène, à commencer par son générique d’introduction avant-gardiste réalisé en bande dessinée. Un choix précurseur de la Marvel Mania même si cette édition remasterisée a pu bénéficier d’une nouvelle séquence d’animation influencée par cette nouvelle tendance. La redécouverte du négatif original (longtemps disparu) aura également permis d’affiner l’image, et de retravailler le mixage sonore, et ce malgré quelques faux raccords et défauts typiques qui émaillent ce genre de petite production.
Évidemment, comme tout apprenti justicier, Robot Ninja va se heurter à cette barrière ténue entre fiction et réalité, celle où les héros de chair et de sang ne sont pas invulnérable face au danger, et finissent généralement sur le carreau à demi comateux sous l’effet d’une balle ou d’un coup de couteau. En outre, le film adresse un doigt d’honneur à la logique mercantile des studios qui ne cherchent qu’à s’accaparer les créations d’artistes pour mieux répondre à une demande de masse.
Sevré d’une violence occulté des différents arts, celle-ci s’exprime alors dans la rue. Le discours est aussi lapidaire qu’un coup de schlass. Le réalisateur se place en fervent défenseur d’un cinéma de contre-culture servant d’exutoire, montrant la versatilité et l’incohérence des exécutifs qui n’hésitent pas à retourner leur veste en fonction de l’engouement populaire du moment. À l’instar de son Robot Ninja, J.R. Bookwalter restera probablement incompris de son vivant.
Si toi aussi tu ne te retrouves plus dans l’état de déliquescence actuel de notre société et que tu considères que le monde a besoin de héros, qu'ils soient violents, gros, cons ou attardés mentaux... L’Écran Large te fera passer de zéro à héros, car il suffit d'un collant et d’un peu de matière grise pour changer de peau !