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Rock Bottom
5.6
Rock Bottom

Long-métrage d'animation de María Trénor (2024)

Depuis au moins 5 ans, la compétition officielle du Festival d'Annecy est généralement composée de films abordables dans leurs formes et leurs fonds. Mis à part quelques rares exceptions comme Kill it and leave this town, rares sont les films à bousculer les codes et à se détacher avec une direction radicale. Cette année 2024 a été dense en terme de propositions car beaucoup sont d'anciens poids lourds de la compétition d'Annecy, beaucoup de grands retours, et peu de places pour de nouveaux auteurs plus singuliers. Il est alors très intriguant d'y retrouver Rock Bottom de María Trénor, une proposition en stop motion dont le récit s'inspire d'un album de Soft Machine, et qui pouvait être formellement très atypique. Une seule chose est sûr à la sortie du film: le film est définitivement à part, et c'est un miracle qu'il ne s'est pas retrouvé en compétition Contrechamp (compétition parallèle axé généralement sur des premières réalisations et proposant des films hors normes narrativement ou plastiquement).


D'entré de film, à travers un changement de ratio, passant du format jacket de vinyle au format film, l'ambition visuel et narrative est exposé sans détour: c'est un film qui puise son récit et ses images proviennent de la rencontre entre les chansons de Robert Wyatt et du travail artistique de sa femme Alfreda Benge. La rotoscopie n'est plus tant un gadget, à l'instar d'un Anzu chat fantôme, mais devient un réel outil de narration. On plonge dans un monde entre la réalité des faits et la lecture artistique que les artistes ont dégagés de cette réalité. Cette réalité est elle-même embrumé par la période de la fin des années 70, où la consommation de stupéfiants était banalisée, mais aussi par la perte de repère que peuvent vivre les personnages, que ce soit dans leurs vies de couple mais aussi dans une réalité qu'ils fuient autant qu'ils essayent de s'y raccrocher pour ne pas totalement tomber à la dérive. Suivant les souvenirs d'un personnage plongé dans le sommeil, à la manière d'un Real de Kiyoshi Kurosawa, la rotoscopie vient souligner le point de vue paradoxale et subtile à travers lequel on vient à découvrir la vie de Robert Wyatt et d'Alfreda Benge. C'est une vie qui est raconté par procuration à travers des personnages qui sont et ne sont pas Robert Wyatt et d'Alfreda Benge (car étant Bob et Alif, deux personnages doppelgänger dans les chansons de l'album Rock Bottom), qui se situe dans la réalité mais non immédiate, que ce soit en terme de temps et d'espace. On obtient ainsi un résultat hybride entre le réel de la vidéo qui laisse place à l'art d'Alfreda Benge qui emmène dans l'imaginaire artistique qui découle des événements qui sont mis en scène dans le film. Alors qu'on peut légitimement craindre un enchevêtrement informe et inélégant, le film est d'une beauté subjuguante et d'une intelligence folle.


On pourrait penser qu'un film se déroulant en plein dans le milieu underground du rock des années 70 est forcément trash, brutal (comme peuvent sous-entendre la démarche artistique derrière l'animation) ou même oppressante. Pourtant, le film n'est rien de cela. On parle d'une histoire d'amour et d'espoir pendant que tout invite au chaos et à la destruction. Il n'est pas tant question de juger le comportement de ses protagonistes, de tenir des discours pédagogiques faussement pertinent sur la dangerosité de la drogue à une période où les connaissances médicales dans le domaine étaient nuls, ou même de regarder en arrière en regrettant l'évolution des mentalités. Le film veut avant transmettre l'amour et le bonheur qu'ont pu vivre un couple à un art qui, par prolongement, a fait l'amour d'autrui. Il faut voir une forme de passage de témoin, d'un film à un spectateur, d'un style et d'une façon de penser la musique (et l'art) afin de comprendre qui était Robert Wyatt et Alfreda Benge. On approche presque la démarche d'un film comme Loving Vincent, où là aussi on utilise la rotoscopie pour plonger dans l’œuvre de Van Gogh, mais qui ici est poussé à un nouveau niveau. On fait vivre les couvertures d'album, on fait vivre la musique en mettant en scène ce qui est raconté ainsi que la vie des artistes qui ont réalisés l’œuvre, et on croise les arts en montrant les différentes connexion qu'il peut y avoir entre la musique de Robert Wyatt et les réalisations expérimentales d'Alfreda Benge. On est amené à dépasser le cadre parfois repoussant et cru de l'époque pour chercher l'amour et la beauté qui peut y naitre. La scène d'ouverture en est une parfaite illustration, démarrant comme une déambulation dans un immeuble pour finalement trouver la tendresse avec une interprétation du titre O'Caroline qui est bouleversante et qui m'a complètement submergé. Le film nous envoute et nous séduit profondément par la poésie et la sensibilité qui s'en dégage et dont on n'a plus envi d'oublier.


Le soucis étant que le récit est parfois lourd dans sa manière d'être exposé, dans un rythme parfois très lent qui a fait baillé plus d'un durant ma séance, et qui peut très vite faire décrocher lorsque l'on n'est pas totalement à fond dans le projet. Cela est renforcé par une direction d'acteur raté, qui cherche à retranscrire une forme d'aphasie lié à l'ivresse et la drogue, mais qui finit par plomber le rythme du film qui devient indigeste par instant. C'est très frustrant que d'être captivé par un univers passionnant, mais d'y être ressorti par des soucis extérieurs pour finalement arriver difficilement à recoller les wagons.


Ce n'est pas un film à mettre sous toutes les mains car certains extraits peuvent clairement mettre en dehors (notamment les séquences expérimentales à base d'ours qui valsent et de volets qui claquent), et le rythme fait qu'il est difficile de pleinement s'y investir tout du long. Cependant, si vous avez la chance de ne pas connaitre Robert Wyatt, que vous aimez les années 70, que vous voulez vous détendre avec une ambiance douce et pleine d'amour, ou que vous voulez une expérience sensoriel sans précédent, jetez vous sur Rock Bottom. Entre Loving Vincent, Real de Kiyoshi Kurosawa, Annette de Léos Carax (sans le côté vénéneux et parfois lourd qui broie du noir gratuitement) et un regard témoin à la Nan Goldin, María Trénor délivre l'un des films les plus sensible et passionnant de la compétition d'Annecy, ainsi que l'un de mes plus gros coup de cœur de l'année.


15/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
8
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Créée

le 12 sept. 2024

Critique lue 71 fois

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