Chiantissima!
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Après le succès monstrueux de Gravity, le mexicain délaisse les énormes studios américains pour se remémorer les souvenirs du Mexique des années 1970 qu’il a connu durant sa jeunesse. Ode à la nostalgie, déclaration d’amour aux femmes, Roma est l’itinéraire d’une famille unie malgré la dislocation et le portrait d’un pays foisonnant de diversité malgré les éruptions sociales violentes.
Roma est typiquement le genre de film intime, personnel où le réalisateur se sent enfin prêt à se livrer sur la pellicule. Tellement, qu’il s’est lui même occupé aussi du scénario, de la photographie et du montage du film. Après Gravity, et sa grandiloquence visuelle mémorable, quoi de mieux que de retourner aux sources, pour enfin essayer de déchiffrer une partie de sa vie. Roma n’est pas à proprement parler autobiographique, mais s’inspire selon le réalisateur, de beaucoup d’éléments de son enfance et suit le quotidien d’une femme de maison, Cléo. Et cela se voit à l’écran tellement on ressent une douceur, une bienveillante avec laquelle la caméra scrute délicatement les personnages. Alfonso Cuaron délaisse la pesanteur étouffante de Gravity, la noirceur baroque de Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban ou l’urgence mortifère de Les Fils de l’Homme.
Cette fois ci, Roma est une ballade douce et amère, dramatique et héroïque. Les mouvements de caméra se font plus légers, les travellings plus lancinants, aimantés par les détails de la maison familiale laissant la petite famille rigoler, se déchirer ou courir de tous les côtés. Roma est une mosaïque de moments de vie, d’une épouse laissée à l’abandon, tout comme sa femme de maison lâchée par son compagnon après l’annonce de sa grossesse. De ce noir et blanc puissant et évocateur, Alfonso Cuaron se saisit une nouvelle fois de ses thèmes de prédilection avec un humanisme débordant : l’amour, la renaissance et l’espoir.
À travers ces notions, il construit des héroïnes du quotidien, parfois balbutiantes et isolées face à une masculinité absente et menaçante, mais toujours les pieds sur terre pour faire grandir la petite famille. Il est intéressant de voir qu’on passe d’une scène à une autre, avec une grande fluidité, sans que l’on sache où le film va nous amener : comme si le cinéaste s’était détaché de toute entrave scénaristique, et nous montrait des bribes de souvenirs, des disputes entre enfants, des accolades réconfortantes, ou des ricanements entre filles.
Cependant, le cinéaste ne s’arrête pas au simple horizon de ses personnages, et comme à son habitude, adore construire un environnement riche en détails, tant au premier plan de son cadre, qu’à l’arrière-plan. Il dessine, avec tendresse les murs d’une maison aux allures aisées, se souvient de ces grandes salles de cinéma qui ont construit sa cinéphilie, ou de ces petits restaurants en famille, de cette mer matricielle symbolisant la renaissance, mais du même côté n’oublie pas les bidonvilles vagabonds de ces petites gens sauvées par les arts martiaux et la horde sociale qui rugit et se meurt par le feu. La puissance de Roma, ne provient pas seulement de ses personnages, mais aussi de cette représentation esthétique du Mexique, évocatrice et symbolique sans que le cinéaste prenne parti ou immisce une quelconque revendication militante.
Alors qu’on avait quitté Alfonso Cuaron avec deux films à l’urgence immersive, Roma est un regard en arrière nostalgique, non sans douleur, qui s’avère d’une humilité déchirante, d’une empathie communicatrice où le réalisme devient naturalisme. À chaque recoin du cadre, à chaque mouvement de caméra, on imagine l’enfant qu’était Alfonso Cuaron en train de se souvenir de sa propre vie construisant mentalement son propre roman photo et rendant hommage aux femmes qui ont fait l’homme qu’il est devenu.
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Créée
le 11 déc. 2018
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