Imaginez, vous êtes une jeune fille née en 1982. Vous avez donc 14 ans, l'âge de Juliette, au moment de la sortie du film de Lhurmann.
Vous ne connaissez que très vaguement l'histoire de Romeo et Juliette, vous n'écoutez pas en cours d'Anglais quand on en parle, discuter du nouvel album des 2Be3 avec votre voisine, c'est tellement plus marrant ! Et puis pas encore de comédie musicale mièvre où aimer est ce qu'il y a de plus beau pour vous simplifier la tâche.
Tout ce que vous savez, c'est que leur amour est impossible, et qu'ils se suicident à la fin, et vous trouvez ça follement romantique.
Et là sort un film sur cette histoire qui vous est quasi inconnue, mais le titre vous attire : ça ressemble à ce que vous écrivez dans vos cahier, votre nom et celui du plus beau de la classe, entourés d'un cœur, Romeo + Juliet.
Vous décidez donc par un mercredi après midi pluvieux d'aller voir ce film, parce qu'en plus vous trouvez l'acteur sur l'affiche très mignon, et il a un nom qui sonne italien, c'est si sexy !
Ce à quoi vous ne vous attendez pas, c'est la baffe de la décennie que vous allez vous prendre. Dès les premières images, vous êtes propulsés dans un Los Angeles contemporain, où la violence fait rage. On n'avait pas vu la violence aussi stylisée depuis les premiers Tarantino et Rodriguez (que bien sur vous n'avez pas vu).
Mais ce qui vous intéresse le plus, c'est le beau gosse de l'affiche.
Et là, re claque, il n'est pas seulement mignon, il joue terriblement bien. Vous assez soudain très envie d'organiser un bal masqué pour vos 15 ans. De plus, dès ses premières apparitions, vous entendez un thème musical envoutant, adaptation instrumentale d'un titre de Radiohead, groupe que vous commencerez à apprécier d'ici la fin de la décennie. Cette chanson vous obsèdera pas mal de temps après le visionnage du film, comme la plupart des autres de la BO d'ailleurs, dont ce titre d'intro qui vous sera bien familier quand quelques années plus tard, alors que vous êtes à la fac, vous prenez un plaisir coupable à regarder l'Ile de la Tentation.
Mais Romeo + Juliet, c'est aussi une putain d'histoire d'amour, qui vous fait pleurer toutes les larmes de votre corps, et vous fait fantasmer sur un suicide au flingue estampillé « Dagger ».
(Vous ne comprendrez le jeu de mot que quand vous écouterez enfin en cours d'Anglais).
Un mélange de violence et d'amour passionnel donc, comme on en avait pas vu depuis True Romance (que vous n'avez toujours pas vu , mais que vous découvrirez quand vous aurez du goût, à vos 16-17 ans, vers 1999, en même temps que la sortie de Fight Club tiens).
Vous n'avez pas encore Internet, c'est donc grâce à Ciné Live ou Première que vous découvrez que le scénario est au mot près tiré de la pièce que vous avez rechigné à découvrir en vrai, vieille de 400 ans. Et vous hallucinez purement et simplement, parce que ce film est un chef d'œuvre, et que son réalisateur est un génie à la fois badass et baroque! Et c'est là que vous rentrez réellement dans l'adolescence, et que vous vous découvrez un certain attrait pour le ciné de la décennie de vos 14 ans, un cinéma sombre et violent, peuplé par Tarantino, Rodriguez ou Boyle.