Messieurs-dames, ceci est une critique à spoilers. Merci de votre attention.

Premier plan ; d'un hélicoptère, nous survolons New-York, ville cosmopolite et éclectique, ici ville funeste. La ville grise apparaît triste, presque désaffectée, et le sentiment de désolation qu'apportent ces images est conforté par le chant mélancolique de Mia Farrow, que l'on découvrira être le personnage principal : Rosemary. Ce chant est-il un chant d'adieu ? Un chant endeuillé ? Il propage en tout cas un sentiment de vague et douloureuse tristesse, et se fait signe annonciateur des drames à venir.

La première scène présente l'arrivée d'un jeune couple dans un nouvel appartement où ils comptent s'établir. Faisant fi des détails intriguants, voire rebutants – la rouille, la casse dans les couloirs, les notes inquiètes de l'ancienne locataire, qui est depuis décédée, les déplacements de meubles devant la porte d'un placard, signe de sénilité, ou pire, de peur ? - le couple préfère prêter attention au charme de l'ensemble, et signe ainsi sa perte. Car au fil de l'oeuvre, ce n'est pas tant les actes dans leur ensemble qui prêteront à l'horreur, mais bien les détails gênants, apparaissant comme des indices menant à une terrible vérité. Le soir de l'emménagement, Guy ironise : « Chut... Tu n'entends pas ? J'entends les sœurs Trench mâchouiller des nouveaux-nés... » Si seulement il y avait matière à rire.


Car c'est bien cette dérision et cette légèreté propre aux protagonistes, face à la pauvre Rosemary qui se sent défaillir et qui oscille entre la certitude de sa folie et la lucidité face à un horrible complot, qui amène un sentiment de mal-être. Roman Polanski, par une suite de scènes issues de la vie quotidienne, laisse entrevoir le comportement calme et protecteur des protagonistes comme un indice de la machination qui se déploie devant nos yeux. Et peu à peu, nous sombrons nous aussi dans la même paranoïa que l'héroïne, soupçonnant ses proches, établissant des rapprochements avec la théorie fantastique qu'elle fonde. C'est là tout le talent de Polanski ; tout comme son héroïne, nous sommes déchirés devant la situation, développant la même paranoïa qu'elle. Quelle femme saine d'esprit, dans sa situation, échafauderait des théories de complot contre elle et son enfant ? Objectivement, quels indices nous ont réellement mis sur la voie du complot ? Il n'y a réellement pas grand chose. Et pourtant, nous ressentons une certaine gêne allant crescendo, un sentiment de rapprochement du danger, puis un sentiment d'étouffement, avant d'arriver à la véritable terreur.

Puis vient la scène finale, ridicule. Après toute cette tension, toute cette agitation, le calme plat de la dernière scène exerça une rupture telle qu'elle en devint burlesque. Face au calme et à la suggestion de la première partie du film, plus terrifiants que toute attaque réelle, la démonstration sans détours des protagonistes amène à sourire plus qu'elle n'effraie. D'autant plus que cette scène efface une dimension du film qui me plaisait bien : le film était pour moi dérangeant dans le sens où il laissait le doute subsister. On pouvait y voir le déroulement du fil de la folie d'une femme, passant de la santé à la folie la plus pure, et en cela ravivait la peur de la folie et amenait des questions passionnantes : Comment détecter que l'on sombre dans la folie ? Comment la combattre ? D'où vient-elle ? La dernière scène balaie tout cela, achève le film en un délire fantastique virant au ridicule.

Ainsi, le film est un bijou dans sa première partie, par un montage et une réalisation parfaits. La tension monte, les questions fusent, le doute s'installe. Mais la scène finale, bien que décevante, n'enlève cependant pas tout attrait au film. Elle prend en effet un tout autre visage si on appréhende la paranoïa de Rosemary comme une métaphore de la peur de la mère à l'arrivée de l'accouchement, terrifiée à l'idée de rompre l'aspect fusionnel de leur relation, de le laisser se séparer d'elle, et de le laisser évoluer dans la société – dont le premier cercle, dans le film, constitue la principale menace.
Pukhet
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le 24 avr. 2012

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