Le cinéma français semble tellement soumis à cette fameuse politique des auteurs que le cinéphile peut se retrouver complètement déconcerté lorsqu’un réalisateur décide de changer de cap. Ce sera assurément la réaction face au nouveau projet d’Arnaud Desplechin, aux antipodes de son précédent film, Les fantômes d’Ismael qui recyclaient jusqu’à l’abstraction vaine toutes ses obsessions de longue date. De ces thématiques, il ne gardera qu’un sujet, Roubaix, sa ville dont il décide d’explorer ici la miséreuse et violente réalité.


Le film est résolument documentaire : à l’aide de la voix off, les statistiques et les explications sur le fonctionnement du commissariat nous plonge dans un reportage comme on en a déjà vus un très grand nombre, et la filiation avec le L.627 de Tavernier revient souvent à l’esprit, tout comme celle du Polisse de Maiwenn : immersion totale, jargon local, scénettes du quotidien qui brosse des portraits d’agents débordant d’énergie, de citoyens brisés et de conditions de travail plus que précaires.


Les qualités nécessaires à l’illusion d’un tel dispositif sont nombreuses, et Desplechin se glisse parfaitement dans cette esthétique vériste : les comédiens sont tous excellents, la distance d’une grande justesse et la galerie de portraits parvient à restituer sans fard une vérité factuelle sans jamais juger arbitrairement les personnages.


Car, contrairement à d’autre projets qui se concentreraient sur la violence inhérente à ce milieu ou se voudraient des brûlots pamphlétaires, Desplechin opte pour un autre regard. Parce qu’il filme sa ville, il cherche à définir la proximité qu’il a, envers et contre tout, avec chacun de ses habitants. La figure de Daoud, interprétée par Roschdy Zem, est ainsi le relai idéal : connaissant cette ville comme personne, (jusqu’à la commenter depuis les toits, comme le ferait un créateur), il en est l’émanation et la figure du sage. Son empathie permet la conduite des entretiens, ses sentences anticipent les jugements, et son écoute laisse, un temps, tomber le masque de ceux qui viennent à lui. Sa posture complémentaire du nouveau venu Antoine Reinartz (révélé dans 120 battements par minute), jeune homme dont la foi semble un relais structurant, permet l’ébauche d’une posture face à la misère du monde, combinée au regard silencieux du cinéaste qui s’autorise un véritable lyrisme dans de nombreuses séquences nocturnes et musicales.


La deuxième partie du récit s’attache plus concrètement à une enquête spécifique, faisant entrer en scène le duo Sara Forestier/Léa Seydoux, qui se fondent parfaitement dans l’atmosphère locale. On comprend bien vite que la résolution de l’affaire importe bien moins que l’interaction des personnages, et la dissection des méthodes pour faire advenir la vérité. Desplechin se livre ici à une véritable auscultation de la maïeutique, prend à bras le corps les répétitions, les flottements, les digressions qui font partie intégrante du processus.


Ce parti-pris (le vérisme absolu au service d’un récit visant à faire surgir la vérité) n’est pourtant pas le propos essentiel du film, car la vérité qui intéresse le cinéaste est surtout celle des êtres ; le nécessaire jeu de masques (volontairement portés, comme pour les rôles que s’assignent les flics pour acculer les prévenus, ou imposés à ces victimes d’un déterminisme social) génère un jeu théâtral orchestré d’une main de maître, et qui fascine littéralement le cinéaste, en quête de cette pulsation muette et fertile. On retrouve ici le travail qu’il avait opéré avec la psychanalyse dans Jimmy P.


Ce rôle d’observateur / orchestrateur peut néanmoins déteindre un peu trop sur le personnage de Daoud, qui, au bout d’un moment, pèche par excès de discours, de sentence et de bienveillance paternaliste. Figure du père, du psy, et presque de saint sacrifiant son existence au service de la communauté, il perd justement l’humanité fragile qu’on peut trouver chez ceux qui l’entourent.


Sans bruit, sans fureur, Desplechin pose néanmoins un regard profondément touchant et naturaliste sur sa ville, conscient de formuler des mots, des mélodies, pour contempler la beauté de visages dont on a coutume de se détourner.


(7,5/10)

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le 21 août 2019

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Sergent_Pepper

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