Si l’errance mi solaire mi suicidaire de Dernier Eté se déroulait sur un espace de temporalité restreint, Guédiguian change radicalement de braquet et embrasse la fresque familiale sur plusieurs décennies dans Rouge Midi. Si sa qualité narrative demande encore à évoluer, se densifier, à gérer mieux ses ellipses, parfois trop conséquentes et brutales pour que l’amplitude du récit n’en soit pas amoindri, l’élan est plus que prometteur, le geste courageux. Si le début du film est plus extérieur et ressemble parfois à du Renoir, la seconde partie se déploie comme dans un Fassbinder.
Gérard Meylan joue un jeune ouvrier qui va se marier avec une jeune immigrée italienne jouée par Ariane Ascaride. Auparavant, on les aura vu enfants, lors de son arrivée à elle et sa famille à Marseille, lors des courses de crawl à lui dans le port de plaisance. On va suivre Meylan (Le personnage central du film, qui s’ouvre et se ferme sur lui, fumant une cigarette sur un balcon) dans sa vie de mari, de père, puis de grand-père, avant qu’il ne meurt et réapparaisse dans la peau du petit fils qui a grandi.
Pas étonnant que Guédiguian retrouve cette circularité qui habitait déjà Dernier Eté, mais sur une temporalité cent fois plus élastique. Cette volonté de brasser l’éternelle boucle prend toute sa mesure lorsque l’enfant des années 70, Sauveur, portera le nom francisé de son oncle assassinée, Salvatore. Boucle toujours, avec cette ouverture et l’arrivée de cette famille calabraise dans le quartier de l’Estaque puis cette fermeture, avec le départ de Marseille du jeune homme.
Les derniers instants dans le train, silencieux, sont très beaux. Après avoir dévoilé en quelques plans les vestiges de la période Front Populaire et certains lieux décrépis qu’on a traversés, Guédiguian surplombe ce Marseille des années 80, lui offre une vue d’ensemble majestueuse, tout en le fuyant par sa voie ferrée, entre ses roches et terrains vagues qui renferment pour le spectateur d’aujourd’hui moult aventures de Dernier Eté à La Villa, en passant par La Ville est tranquille. Fin sublime, poétique, pour un film certes inégal dans son déploiement, mais terriblement attachant dans sa tentative de fresque aussi grandiose sur le papier qu’elle s’avère au final intime, modeste et pensée avec les moyens du bord.
Le plus étonnant étant de constater combien Rouge Midi s’oppose en tout point à Dernier Eté et pourtant à quel point on reconnait la patte Guédiguian dans les deux films. L’un stagne tragiquement comme si le temps s’était arrêté, l’autre recule loin dans le temps pour mieux avancer. Constater finalement combien ce sont deux films qui se complètent et qui forment les deux faces d’une même pièce, que Guédiguian gardera plus ou moins (J’attends de voir ce que je n’ai pas vu) durant toute sa carrière.