Année scolaire 1972-73. La petite école, à classe unique, de Les Salles-sur-Verdon, dans le Var, vit sa dernière année dans l’ancien village. En août 73, suite à la construction du barrage qui lui donnera naissance, le Lac de Sainte-Croix commencera à être mis en eau et le sera totalement au 15 novembre de la même année. Ancien village enfoui, et transporté des 450 mètres d’altitude qu’il occupait alors à 510 mètres, afin d’avoir les pieds au sec.
En 2006, Béatrice Plumet, plus de trente ans après, tente de remembrer cette classe, en allant à la rencontre des anciens élèves qui la composaient. S’ensuivent une série d’entretiens, individuels, avec ces enfants devenus adultes et se penchant sur ce moment charnière de leur vie, moment qui fut celui d’un déménagement collectif et forcé. Les échanges se font le plus souvent autour d’une table, jonchée de photos, parfois dans le clair-obscur d’un film super 8 projeté dans le nouveau salon.
La diversité de ces entretiens permet de mesurer la différence des ressentis, auxquels une même expérience, pourtant à la fois commune et très insularisée, a donné lieu : entre insouciance enfantine, excitation devant le nouveau logement, le nouveau plan d’eau, offrant baignades et donc vacances à domicile, et regrets à présent devant une sorte d’expérience non vécue, traversée dans l’insensibilité, et les photos non prises ; ou bien traumatisme passé, pleurs, voire crises de spasmophilie, mais relatif apaisement, serti d’acceptation, à présent... Les écarts qui émanent de ces échanges sont surprenants, et pourtant ils font naître le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, il faut que le traumatisme infligé par une telle expérience s’inscrive, se vive, dans l’instant ou dans l’après-coup.
De fait, le contenu des photos et des films qui sous-tendent ces récits est porteur d’une singulière violence : on songe à Oradour devant ces maisons détruites, souvent incendiées, devant l’église anéantie. Les interviewés emploient souvent eux-mêmes, alors, les termes de « guerre », d’ « apocalypse » et ces images de destruction les fondent.
La douceur avec laquelle sont menés les entretiens fait salutairement contraste avec ce climat de violence. La réalisatrice est à la fois très présente et très discrète, effacée derrière sa caméra, et on ne perçoit d’elle que sa voix délicatement questionnante, par moments, ou bien les sourires et les regards que lui destinent ses interlocuteurs. Si bien que ce retour, plus de trente ans en arrière, vers des zones d’anéantissement, est simultanément accompagné, porté, par un regard qui redonne vie, redresse...
La caméra peut ainsi se faire douce pour l’eau qui a causé tant de destruction, recueillant un clapotis innocent du lac actuel sur les galets du rivage, ou bien encore des vues plus larges, argentées, paisibles. Il ne s’agit donc pas d’instruire un procès, ni d’aviver autant que possible un ancien traumatisme pour magnifier l’infortune des victimes. Bien au contraire : tout en prenant la mesure de ce singulier drame, presque guerrier en temps de paix, c’est bien plutôt vers la survie, et la reconstruction, que se tournent Béatrice Plumet et sa petite classe d’interlocuteurs grandis. Et le trait d’humour du dernier entretien ne manque ni de noblesse ni de délicatesse : l’un des anciens enfants, devenu maçon, mais spécialisé dans la restauration, souligne-t-il, et vouant un amour immodéré aux anciennes pierres, de récupération, indique qu’il n’est sans doute pas un hasard que, sur une seule classe, tant de ses anciens camarades soient devenus maçons, comme lui...