[Critique contenant des spoils]
Abel et Gordon ont un univers bien à eux, et l'on retrouve avec plaisir ces couleurs vives, ces scènes sans paroles, ces mouvements chorégraphiés, cet humour burlesque. Rumba montre d'abord un couple d'enseignants, elle d'anglais et lui de sport, qui file le parfait amour, aimanté par la danse. Un accident de voiture va leur faire perdre : lui la tête, elle une jambe. Le film évoque avec une drôlerie quasi constante la réadaptation de Fiona et Dom à cette nouvelle situation.
Absurde, outrancier, dans la plus pure veine burlesque, Rumba est truffé de trouvailles délicieuses qu'il me faut ici énumérer, ne serait-ce que pour en garder le souvenir (liste non exhaustive !) :
- la leçon d'anglais qui ouvre le film, avec les enfants qui répètent de moins en moins fidèlement des phrases de plus en plus compliquées ;
- l'entrée des enfants en cours de sport dans l'école en courant, puis une autre sorte de course, plus débridée, qui marque la fin des cours (et celle des enseignants, qui n'était pas indispensable ai-je trouvé) ; lui fait écho la scène, à la fin du film, où Gérard essaie de reproduire les mouvements de Dom, avec de moins en moins de précision ;
- le couple dans sa maison, la scène des spaghettis, du brossage de dents face au miroir, de l'endormissement où l'un et l'autre ne cessent de rallumer et de se relever ;
- la scène où ils se changent tout en conduisant ;
- la scène de la tentative de suicide entre train et voitures, typiquement burlesque, et l'accident, laissé hors champ, avec juste la roue qui passe sous le pont ;
- le plâtre qui recouvre tout le corps de Fiona à l'hôpital ;
- Fiona voulant absolument se débrouiller seule avec ses béquilles dans sa classe, avec là encore une belle utilisation du hors champ (on la devine rampant au pied des élèves) ;
- Dom mettant KO chaque enfant d'un seul coup très doux, idée poétique
- l'antivol mis à la roue du fauteuil roulant : idée qui paraît absurde mais non, car le fauteuil sera bel et bien dérobé !
- la scène de danse en ombres sur le mur, comme une nostalgie du passé (qui avait été annoncée par un superbe travail sur les ombres dans la première scène de danse, au gymnase) ; elle s'achève lorsque Dom commence à se déshabiller - façon d'évoquer, délicatement, la question sexuelle, forcément problématique.... quelque chose s'est bien brisé ;
- Dom s'évertuant à gesticuler devant la porte du supermarché pour la faire s'ouvrir automatiquement, alors que celle-ci était tout simplement mécanique ;
- Dom préparant un gâteau en oubliant sans cesse qu'il a mis des oeufs (forcément au bout d'un moment il n'y en a plus) et du sel (on devine le truc immangeable) pendant que Fiona entasse les coupes dans le jardin en vue de les brûler (image de la lucidité du couple face à sa nouvelle condition) ; notons au passage que dans ce foyer c'est l'homme qui repasse ou qui fait la cuisine ;
- la maison qui prend feu, et Dom qui court dans tous les sens avec un simple verre d'eau, là aussi un classique du burlesque ;
- Dom qui veut prévenir son jeune voisin mais qui ne dit rien parce qu'il ne se souvient pas de son prénom ! puis le tuyau qui ne donne qu'un jet sans pression ;
- l'agression pour un pain au chocolat, disparu dans les fringues de Dom (on sent ici la formation de clown d'Abel et Gordon) ; et en effet, on peut se faire aujourd'hui agresser pour à peine plus qu'un pain au chocolat...
- la fleur jetée au vent qui revient comme un boomerang, poétique façon de dire que Dom n'est pas mort ; jeu aussi qui évoque les jeux de plage, qu'on va voir juste après ;
- la fille derrière un parasol qui paraît immense, les jambes d'une autre prolongeant le haut de son corps ;
- l'escargot, qu'on suit depuis la tentative de suicide, qui a trouvé l'âme soeur sur le rebord de la fenêtre, façon d'annoncer les retrouvailles de Fiona et Dom ;
- les baigneurs qui se réfugient et s'entassent sous le minuscule auvent de la baraque à beignets (sur lesquels tous les autres dessins de produits sont barrés) ;
- les couleurs vives des maillots et serviettes de Fiona et Dom au moment où ils se retrouvent ;
- toutes les scènes de danse, bien chorégraphiées et filmées.
Il y a bien quelques faiblesses aussi, en plus des quelques-uns évoqués plus haut :
- la scène entre Dom et Fiona à l'hôpital lorsqu'il cherche du café : si Fiona est toujours impeccable, Dom ne joue pas toujours très juste ;
- la scène où le couple s'abrite sous une tente puisque la maison, dont il ne reste que la porte d'entrée, a brûlé : moins réussie, ai-je trouvé, peut-être un brin trop énorme ?
- très souvent le tournage en studio est trop voyant : je pense d'abord à toutes les scènes de voiture, mais aussi à celle de la maison calcinée, à celle de la cabane où dorment Gérard et Dom, avec la mer en fond... ce côté "toc" brise un peu la magie pour moi.., mais il peut aussi être voulu ;
- les pleurs de l'ex-suicidé lorsqu'il reconnaît Dom : un peu long et répétitif.
Quelques lourdeurs qui ne parviennent pas à dissiper l'impression merveilleuse que dégage le film. Rumba est une douceur qui fond lentement dans la bouche, et qui, l'air de rien, parle très poétiquement de la façon dont un couple s'adapte aux turpitudes de la vie.
7,5