Après une longue discussion ayant pour thèmes les Parrains que je venais de découvrir et mon admiration pour le Mickey Rourke des années 80, magnifique dans Angel Heart, on me conseilla Rusty James, sous son titre VO « Rumble Fish ». Rendez-vous pris, donc, avec ce métrage au thème plutôt casse-gueule : les relations entre les gens. Pire encore, entre frères. Mais ça tombe bien, moi, j'aime les films qui en parlent et en parlent bien !
Moi aussi, j'ai un frère. Ce n'est pas surprenant, en vérité. Notre relation, eh bien, elle est faite de discussions sur nos jobs respectifs, les derniers jeux auxquels on joue, les films que l'on a vu et nos amis communs. Une façon très placide de parler de la pluie et du beau temps, histoire de se souvenir qu'on est de la même famille. C'est un peu le cas pour tout le monde, j'imagine. Rusty James, quant à lui, c'est un peu différent : son frère, Motorcycle Boy, était une légende, le roi des gangs, et par là même, de la ville. Mais ce frère légendaire a disparu et c'est dans son royal sillon que tente de percer Rusty. Mais l'époque n'est plus aux gangs et lorsqu'enfin, Motorcycle Boy revient, notre brave James croit y voir le retour de l'âge d'or, sans comprendre que ce frère absent l'est toujours...
Mon précédent exemple soulignait une réalité qui semble avoir été oubliée des scénaristes d'aujourd'hui : les vrais êtres humains évitent de se dire la vérité, à eux-même autant qu'aux autres, plus encore à leurs frères ou sœurs. Tout est dans le non-dit, dans les esquives, aussi bien verbales que physiques. Pour figurer cette démarche, « Rusty James » a plusieurs atouts, imparables : sa mise en scène, qui aurait pu vieillir puisqu'elle incarne une époque très identifiée, s'exclue aussitôt du récit pour tenter de se rapprocher du point de vue de Motorcycle Boy – c'est du moins mon ressenti. Comme l'ombre de ce grand frère de légende qui pèse sur Rusty James, l'entièreté du film vue par le prisme du regard du personnage de Rourke. Tout le film est un travail sur le noir et blanc, noyé d'une brume surnaturelle qui envahit les décors. Coppola se permet même des divagations pour ancrer plus encore son long-métrage dans le surréalisme : bien que travailler dans la focalisation de Rourke, le personnage de Matt Dillon n'est pas en reste et ses hallucinations habitent le film, le désincarnent.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, le film est désincarné et dès lors, le spectateur se trouve dans une situation étrange : le parcours décrit est celui de Rusty, qui essaye désespérément de se rapprocher d'un frère idéalisé, fantasmé à outrance, mais ce monde, c'est celui, étrange et nébuleux, de Motorcycle Boy, qui lentement repousse, aussi bien le personnage que le monde, Rusty. D'ailleurs, au-delà de cette ambiance envoûtante, qui met si bien en avant les errances de ses personnages, il faut saluer les performances de tout ce petit monde : un Matt Dillon regardable (enfin !), un Nicolas Cage détestable (mais volontairement, pour une fois), une Diane Lane entre fantasme et réalité, mais les deux grands, qui tirent leur épingle du jeu, ce sont Denis Hopper et surtout Mickey Rourke. Le premier ne parle qu'une fois, mais avec une telle intensité qu'il semble déclamer la plus importante des répliques skakespeariennes, le regard illuminé d'une folie propre à ceux qui ont vu la réalité telle qu'elle est. Le second murmure, sourit en coin, marche et agit souvent sans un mot... mais il habite littéralement l'écran. Chacune de ses apparitions furent pour moi la source d'une fascination totale. Un des personnages le décrit comme un roi déchu, exilé dans ces basses terres et je crois que c'est précisément ce qu'il est. Rourke campe à la perfection ce Motorcycle Boy à la présence incroyable, qui traverse pourtant le film comme un fantôme et hante le parcours de Rusty.
C'est un conte d'une grande beauté, une ode étrange et nébuleuse sur les liens entre les frères, sur le carcan de l'environnement,de la réputation.
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