Devenir la bête.
Nominé pour la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1963, "Sa majesté des mouches" est l'adaptation par Peter Brook du roman éponyme de William Golding, récit que j'avais découvert en classe de...
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le 22 nov. 2014
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Mon principal regret réside dans le fait que le film ne parvienne jamais vraiment à se débarrasser de sa lourdeur stéréotypique, caricaturale par endroits dans sa démonstration symbolique. Il ne parvient pas, à mon sens en tous cas, à exister en dehors d'un système très rigide de codes, au-delà d'une représentation très archétypale de la société. Avec ce groupe d'enfants seuls et perdus au milieu d'une île déserte, apprenant par la force des choses la constitution d'une société, on est en pleine illustration allégorique des limites de la nature humaine. De manière un peu trop frontale, peut-être, le film ne bénéficiant pas de ce soupçon de recul nécessaire.
Dans le fond, le film déçoit assez régulièrement dans une certaine forme d'académisme (sans péjoration). La façon dont s'articule le modèle démocratique, avec l'élection d'un chef et d'un sous-chef, la parole donnée par le conque, les jalousies naissantes et la menace des minorités anarchisantes, est une vision plutôt convenue ou du moins attendue (mais absolument pas idiote au demeurant) de l'organisation sociale. Il y a un petit côté manichéen dans la démonstration, comme si nécessairement le comportement de Jack le guerrier, représentant de la force, devait s'opposer à celui de Raph le réfléchi, représentant de la loi, entraînant le tout vers une barbarie totale.
Mais tous ces reproches peuvent paraître très durs en regard des nombreux points de vue qui valent, par ailleurs, le détour.
À commencer par la dimension auto-critique de l'œuvre, puisque les enfants proclament au tout début "les Anglais sont supérieurs au reste du monde", en substance, de manière très sincère et naïve, avant de sombrer dans la tyrannie absolue. Les enfants ont beau représenter le summum de l'éducation anglaise des classes supérieures, il ne leur en faut pas beaucoup pour oublier toute leur prétendue culture, censément supérieure.
Il y a aussi évidemment le mythe du bon sauvage, réduit en miettes. Très vite, la vie paisible et organisée en communauté laisse exploser la violence latente qu'elle contient et sombre dans le chaos. La nature ne conduit pas à l'idylle mais à la dictature et aux sacrifices tribaux (cf. l'image marquante de la tête de cochon empalée sur laquelle festoient des mouches). La déliquescence de la loi au sens commun vers celle du plus fort n'est pas amenée de manière particulièrement brillante, mais il y a tout de même quelque chose de réussi dans la mise en scène d'un point de non-retour, d'autant plus frappant quand il est orchestré par des enfants (globalement convaincants). Il aurait été intéressant d'observer de plus près l'opposition entre les aspirations des uns et des autres, les illusions sociales d'un côté, les pulsions enfouies de l'autre, et la lente désagrégation des meilleurs idéaux.
"Sa Majesté des Mouches" surprend par l'acuité de certaines scènes, par sa capacité à illustrer la sauvagerie à l'œuvre. La séquence au cours de laquelle Simon se dégage du piège de la croyance en affrontant ses peurs les plus profondes, en dissipant tout le côté mystique que Jack avait entretenu dans sa tribu, est à ce titre une vraie réussite. Ce mouvement hallucinogène se poursuit par la violence de la chasse à l'homme finale, dans la jungle enfumée, et se termine avec l'arrivée des militaires, signant la fin de l'apprentissage, le retour à la réalité et l'entrée dans la guerre.
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Créée
le 23 août 2017
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