American pipe
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le 4 août 2023
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Peut-on considérer la destruction d'une infrastructure industrielle comme de la légitime défense ?
Dans un essai politique intitulé "Comment je vois le monde" paru en 1934, Albert Einstein écrivait : "Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire".
Que les menaces d'aujourd'hui et d'alors soient distinctes (le sont-elles tant que ça ?), le constat, lui, reste le même : face aux grands périls à venir, l'humanité répond souvent par le déni, la résignation ou l'indifférence. Si la catastrophe climatique en cours nous a d'ailleurs appris quelque chose comparativement à la menace nazie, c'est que le niveau d'information du peuple n'est pas une donnée susceptible de faire sortir l'humanité de sa léthargie habituelle. Cela fait maintenant plus de 50 ans, depuis le rapport Meadows, que tous les scientifiques sérieux nous alertent à coups de milliers de rapports et d'études sur le désastre qui nous attend si nous ne mettons pas un terme rapidement à la folie qui nous a gagnés.
Mais cela ne suffit pas, pour deux raisons très simples : D'abord, tant que la classe bourgeoise dirigeante n'aura pas un intérêt immédiat à mettre fin à un système construit par et pour elle, la machine continuera de tourner peu importe les conséquences. Ensuite, tant que la classe laborieuse n'expérimentera pas dans sa chair les implications du dérèglement climatique, elle continuera majoritairement à s'occuper des affaires courantes sans prendre part au rapport de force.
Si ce constat simpliste peut paraître grossier, il permet de comprendre l'une des idées fondamentales de "How to blow a pipeline" dans sa mouture cinématographique :
Il est vain d'essayer de convaincre.
Il est vain d'essayer de convaincre des personnes qui n'ont pas envie d'être convaincues, ou qui n'ont pas d'intérêt à être convaincues.
En tout cas, il est vain d'attendre l'assentiment d'une majorité de la population pour faire ce qui est nécessaire.
Le film de Goldhaber ne s'embarrasse pas d'explications infécondes. C'est peut-être d'ailleurs sa plus grande force, car il en ressort un thriller rythmé qui va à l'essentiel de son propos, comme cette formule gravée en rouge sur sa propre affiche : "Il est temps de passer à l'action". L'annonce est un peu tape à l'œil, mais elle peut aussi être vue comme une invitation, voir une incitation, à comprendre Xochitl, Theo, Michael, Dwayne et les autres, et à rejoindre les rangs de la résistance.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, de résistance. Les protagonistes de Sabotage ne sont pas des fous furieux en manque d'adrénaline que le feu et les explosions excitent. Ce sont des jeunes qui comprennent qu'un pipeline n'est pas moins dangereux qu'un calibre pointé sur la tempe, et qui décide de ne pas attendre sagement que d'autres pressent la détente. A coup de flashbacks, Goldhaber nous raconte des personnages crédibles, ni héros ni terroristes, affectés d'une manière ou d'une autre par l'industrie fossile, et simplement décidés à reprendre le contrôle de leur destin. Pour peu que l'on se sente faire partie de cette jeunesse contrainte au tout pour le tout, ou qu'on en comprenne les sentiments, il n'est pas bien difficile de développer un lien d'empathie avec cette galerie d'individus.
Pourtant, le film se montre particulièrement avare en développement narratif. Si certains personnages (Xochitl ou Théo) font l'objet d'un développement convenable, d'autres ne bénéficient que de quelques scénettes expéditives (Michael, Logan). Difficile aussi de ne pas constater le manque cruel d’interactions, à l’écran, entre elles et eux. Il en ressort une certaine frustration, celle de ne pas suffisamment avoir fait connaissance avec les différents protagonistes, la faute au format, sans doute (compliqué de raconter huit personnages en 1h45). C'est peut-être aussi le fruit d'un parti pris. En limitant le développement narratif de ses personnages, Goldhaber les essentialise sans doute volontairement, les racontant surtout par le prisme de leur détermination. En ne construisant pas de récits de vie trop spécifiques, il n'est pas impossible que le réalisateur cherche aussi à ce que chaque spectateur puisse s'identifier.
How to blow a pipeline reste pourtant une œuvre maitrisée. Le spectacle est à la hauteur de la tension installée par un découpage parfaitement pensé. En allant et venant avec habileté entre l'élaboration du plan et le passé des personnages, le film parvient parfaitement à faire monter la pression jusqu'à la mise en place finale. On se croirait parfois dans un classique du film de casse de banque, la surenchère hollywoodienne en moins. En effet, même si Sabotage est un thriller manifeste, il ne fait pas dans l'esbrouffe. Ce qui se produit devant nos yeux est étonnamment de l'ordre du crédible. Les protagonistes ne sont pas des professionnels. Le film dépeint simplement et avec sobriété le portrait d'une jeunesse portée par une certaine soif de justice, qui se retrouve via les réseaux et élabore un plan pour le moins... artisanal.
« Sabotage » est sans doute une "adaptation" réussie, en ce sens qu'elle pose des questions et invite à s'interroger sur la radicalisation du mouvement écologiste. Reste que tout le monde ne ressortira pas du visionnage avec le même bagage. Les activistes déjà convaincus et les plus lucides sortiront galvanisés par ces images d’une résistance courageuse et crédible, là où les climatosceptiques adeptes des plateaux CNEWS crieront de tout leur organe patriarcal à la dégénérescence de la jeunesse et à la démagogie. C’est peut-être dans l’entre deux que se jouera la vraie bataille, chez celles et ceux qui comprennent l’urgence mais se sont résignés faute d’un imaginaire suffisamment porteur d’espoir. Car comme tous les activistes, Logan, Xochitl, Michael, Rowan, Dwayne, Theo, Alisha et Shawn portent sur eux les espoirs de celles et ceux qui refusent de baisser les bras. De la même manière que ces scènes d’intro et de clôture se répondent, il y a fort à parier que le principal message du film réside dans l’idée qu’un acte de résistance en inspire presque toujours d’autres, et que l’effet d’entrainement est peut-être notre seul salut face à la crise en cours.
Au final, même s'il apparaît vain d'essayer de convaincre, la multiplicité de récits radicaux, qu'ils soient fictifs ou réels, est aussi un outil de lutte en ce sens qu'elle distille progressivement l'idée que le sabotage est non seulement envisageable dans le cas de la légitime défense, mais surement même indispensable pour lutter contre le cataclysme dont les effets commencent brutalement à se faire sentir partout sur la planète. Et dans cette optique-là, on ne peut qu’espérer que le film de Goldhaber, tout comme le livre de Malm, deviennent de ces œuvres importantes qui auront eu un impact certain sur leur époque.
Créée
le 28 juil. 2023
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