˗ Pfff... Oh la la... Putain que j'ai mal à la tête !... Jéjé !
...
˗ Jéjé ?
...
˗ JEJE !
˗ Oui, Behind, qu'est ce qui se passe ?
˗ Ca fait combien de temps que je pionce à ton zinc, Jéjé ?
˗ Longtemps...
˗ Merde... J'ai atterri là comment ?
˗ Je t'ai vu arriver avant vingt heures. Tu t'es assis à la table du fond et tu as commandé un ballon de rouge. T'as dit qu'il fallait que tu te retapes pour oublier.
˗ Oublier quoi, Jéjé ?
˗ J'ai pas tout compris. T'as simplement parlé de Saint Amour.
˗ Parle pas si fort Jéjé ! Ca résonne dans ma tête... J'comprends pas tout, là , Jéjé ?
˗ Moi non plus... T'as dit à plusieurs reprises que t'avais eu des envies de quitter la salle en plein milieu.
˗ Ah ! Je devais être allé au cinéma. Ca me revient. J'ai dit quoi d'autre ? Parce que là, tu comprends, j'ai pris l'habitude de rédiger des avis pour alimenter mon compte Sens Critique...
˗ T'as dit que c'était soi disant un film sur la paysannerie qui faisait passer les culterreux pour des ivrognes et que ce n'était pas flatteur pour eux. Et que la ruralité, vue de Paris, c'était un monde de ploucs.
˗ J'ai dit ça ?... Bon, OK...
˗ T'as même dit qu'il s'agissait d'un road movie au fond du trou et qu'il n'en était jamais réellement sorti. T'as parlé d'une molle évocation rabelaisienne dépressive et triste, loin de ce que le film était censé mettre sous les yeux de son public...
˗ Attends Jéjé, vas pas si vite. Je note... Molle... Evocation... Rabelaisienne... C'est AI, Rabelais, c'est ça ?... Dépressive... Et triste. Putain, qu'est ce que je suis intelligent quand je suis murgé !
˗ Tu disais aussi que Saint Amour, alors qu'il ne fait qu'une heure quarante, trouve le moyen de paraître deux fois plus long et de dilater ses scènes jusqu'à en devenir embarrassant, comme les ivrognes qui se lancent à raconter une histoire drôle et qu'on n'en voit jamais le bout tellement ils la racontent mal. Et que la fin tombe à plat.
˗ Ca aussi je vais noter. Ca fait bien, les métaphores qui tombent pile dans le sujet du film !
˗ Ah ! J'allais oublier. Tu parlais aussi des péripéties. Qu'elles étaient presque toutes gratuites au sein de la structure narrative. Qu'il y avait une ou deux occaz de rigoler mais que c'était vite noyé par le dépressif du personnage de Benoît Poelvoorde. Qu'il était mal écrit et qu'alors qu'il y avait quelque chose d'émotionnel à exploiter, que tu pensais que finalement, on ne savait pas réellement pourquoi il passait son temps à picoler et qu'il n'avait pas dû dessouler de tout le film.
˗ D'après ce que tu me racontes, je crois que je pourrais rajouter que son jeu était assez outré, ça passera comme une lettre à la poste... Attends... Ah ! Jéjé ! Je crois que j'ai un flash ! Y'avait aussi un taxi, avec le gars qui jouait dans Les Beaux Gosses... Merde, Je me rappelle plus. Bon, en tout cas, c'était par lui que certaines péripéties gratuites passaient, rarement drôles, rarement intéressantes, qui en disaient plus sur sa lâcheté et son côté minable.
˗ Je te resserre une triple ?
˗ Allez, OK. J'aurais les cheveux qui pousseront moins à l'intérieur de ma tête...
˗ Tu parlais aussi de Gérard Depardieu. Ca m'a étonné parce que d'habitude, t'es pas du genre à l'aimer... Tu disais qu'il portait littéralement le film sur ses épaules et que c'était le seul personnage que l'on pouvait trouver sympathique. Je me souviens même, avant que t'ailles aux chiottes faire ta prière, que tu le trouvais émouvant quand il parlait de sa femme et que tu t'attendais à ce que le film, il soit bien plus centré sur ce traumatisme. Que la relation père/fils aurait pu bien plus être nourrie et intéressante.
˗ C'est le mélange, ça...
˗ De quoi ?
˗ Ma prière...
˗ Oh ! J'te rassure, tu peux en parler au pluriel... C'était même pire que quand on a dû appeler de l'aide pour la gueule de bois de Francis...T'as ensuite roupillé un peu puis tu t'es réveillé en sursaut en hurlant : " J'ai oublié de parler des femmes à Jéjé !" Tu vitupérais sur l'aspect mysogine du film car il les représentait que comme des gourdasses, des chaudasses ou des dépressives. Ou les trois à la fois. Puis t'as repioncé en murmurant que c'était volontiers racoleur et que, rien qu'avec Ovidie au casting, t'étais sûr qu'elle allait se désaper. Puis, que de toute façon, une femme, ça ne servait qu'à rester sobre pour reconduire les poivrots au salon de l'agriculture pour in extremis débiter un vibrant monologue sur la cause paysanne assez putassier. Surtout que les agriculteurs, ils sont toujours représentés comme des abrutis dans Saint Amour.
˗ J'ai dit tout ça en roupillant ?
˗ T'étais pas toujours très compréhensible vu que tu avais conservé ta singerie de masque sur la tête pour cacher ta gueule de con, mais oui. T'as dit à peu près ça.
˗ Oh putain, c'est que je devais en tenir une bonne, vu l'ampleur du désastre.
˗ T'as aussi parlé de saillies politiques hors sujet, mais là, j'ai rien compris.
˗ Pas grave, ça suffira pour faire illusion, vu que je me souviens de pas grand chose. En tout cas, t'es le meilleur Jéjé !... Et hop ! Une critique de plus sans me fouler !
˗ Si je peux aider...
Behind_the_Mask, qui reprend le volant.