Sur le papier, l'accumulation de thématiques en prise avec les luttes sociales et autres débats moraux de notre époque envoie un signal mitigé, celui d'un film fourre-tout qui multiplierait les prises de position en se dispersant dans de trop nombreuses directions sous la forme de pamphlets militants à la chaîne. Mais en réalité la mise en scène d'Alex Thompson et surtout l'écriture de Kelly O'Sullivan au scénario permettent à Saint Frances de se prémunir de tout naufrage dans les eaux du lourdingue en réussissant à articuler toutes ses composantes de manière agréable, ludique et pertinente tout en les intégrant dans un fond de comédie légèrement dramatique assez bien rythmé.
Grossesse non-désirée, avortement, homoparentalité, post-partum... Tous ces thèmes sont incorporés avec beaucoup de frontalité et de crudité, sans doute un peu trop par moments, mais l'acharnement de O'Sullivan à nous raconter ses mésaventures féminines par le bout le plus pragmatique qui soit contribue à alimenter une ambiance sincère, et drôle dans une certaine mesure — la récurrence des accidents impliquant des pertes ensanglantées mélange étrangement un côté vraiment pas drôle (l'avortement dans une conception très prosaïque) et un autre côté qui finit par l'être (l'effet running gag à travers plein de situations radicalement différentes). Et la particularité de Saint Frances, c'est bien de nous montrer les galères de Bridget, la protagoniste, tombée enceinte et à deux doigts de faire une grossesse gériatrique (terme peu opportun mais consacré pour une grossesse au-delà de 35 ans), sûre d'elle au sujet de cette grossesse-là (elle n'en veut pas, malgré les positions de son entourage : "The world has always been inhospitable. When I got pregnant with you, it was the 80s. Every day Reagan joked about nuking Russia, but we survived. I gambled on our survival. That's what having kids is.") mais pleine de doutes quant à la grossesse en général (nullipare ou pas nullipare ?), et qui se retrouve embarquée dans un job de nounou (c'est-à-dire au contact direct d'un bébé et d'une enfant) au milieu d'un couple féminin, croyant, au sein duquel des tensions commencent à s'installer.
La question de l'avortement est abordée dans un style qui pourrait rappeler celui de Obvious Child (qui aurait été incorporé à un fond de sauce Ashby), dans un registre comique beaucoup plus modéré et avec un regard beaucoup plus pertinent et acéré sur la condition de la femme-mère (avec quelques élans trash dans les dialogues, du genre "I hate how they compare the fetus to cute things, you know? Like a raspberry, a kumquat, a tomatillo. — When really it's just the size of a rat turd" sur la grossesse ou "Maya was this funny, confident, sexy woman, and now she's just like this... she's a bare-boobed, unshowered, perpetually crying milk machine" sur la maternité), ou du moins plus réaliste. Le choix vis-à-vis de la maternité qui se pose à elle est assez habilement mis en perspective avec la relation qu'elle établit avec la fille dont elle a la charge — et accessoirement, Kelly O'Sullivan l'actrice compose un personnage plutôt attachant, maladroit mais cohérent, son rapport au sexe est plutôt drôle en termes de décomplexion (n'étant pas un grand connaisseur de ce genre de comédies, je ne peux pas juger l'originalité sans doute à relativiser de la démarche). Pas la comédie dramatique ou le pamphlet revendicateur du siècle, mais une étonnante contribution aux genres.
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