- Je sais que ça à l'air dingue. La seule idée que Mike Ryerson soit une espèce de… Seigneur… de créature de la nuit…
- C'est vrai que ça à l'air…
- Insensé ?
Plus nerveux, plus dense, Salem’s Lot ressort les crocs à la croisée du classicisme et de l’horreur moderne
J’ai une véritable affection pour la franchise Salem’s Lot, ou Les Vampires de Salem en version française, que j’ai découverte il y a bien longtemps à travers le roman d’horreur de Stephen King, publié en 1975. Une histoire marquante qui a connu plusieurs adaptations à l’écran, dont la première fut une mini-série réalisée par Tobe Hooper en 1979, plus tard remontée sous forme de téléfilm. Je vous laisse d’ailleurs le lien vers ma critique de celui-ci : https://www.senscritique.com/film/les_vampires_de_salem/critique/221324719 Une autre adaptation suivra en 2004, cette fois sous forme d’un téléfilm de plus de trois heures car en deux parties, signé Mikael Salomon. Même si ces versions n’étaient ni mauvaises ni inoubliables, il reste étonnant que le deuxième roman de King, considéré comme son premier "grand" succès, celui qui a posé les fondations de son univers horrifique, n’ait jamais eu droit à une adaptation pour le cinéma (je ne prends pas en compte le fait que la mini-série sera remontée pour une sortie au cinéma dans seulement quelques cinémas). Petite parenthèse, je sais ce que vous allez me dire : « JéJé, tu dérailles, c’est Carrie son premier grand succès ! » Eh bien… pas tout à fait. Lors de sa sortie, le roman Carrie a connu un succès modeste, sans être un raz-de-marée. Ce n’est qu’en 1976, lorsque les droits furent rachetés pour une adaptation au cinéma, que sa popularité a véritablement explosé. À ce moment-là, c’est Salem’s Lot qui se vendait mieux, confirmant le talent de Stephen King avec un second roman plus solide, plus abouti. Bien sûr, après la sortie du film, Carrie a vite rattrapé et dépassé les ventes de son petit frère. Fin de la parenthèse. Il aura donc fallu attendre 2024 pour qu’un nouveau regard soit enfin porté sur Salem’s Lot, à travers un long-métrage. Malheureusement, une fois encore, pas de sortie en salle, le film a directement été lancé sur la plateforme Max. Certes, c’est toujours mieux que rien. Mais en tant qu’amateur du format physique, je ne peux m’empêcher de rager. Aucune sortie DVD ou Blu-ray n’est prévue, et donc aucune chance de l’ajouter à ma collection. Et c’est ce qui me frustre le plus… parce que ce film, je l’ai sincèrement apprécié.
Quel plaisir de retrouver la paisible bourgade du Maine, Jerusalem’s Lot, où d’étranges événements viennent troubler la quiétude locale. Une menace sourde s’installe, et elle n’a rien de naturel puisqu'on devine rapidement qu’une véritable invasion vampirique est en marche. Cette relecture moderne du mythe de Dracula transposée dans l’Amérique rurale des années 70 se distinguait à l’origine par un style lent, très personnel. Ici, le film opère un virage en abandonnant le format série, ou même celui de deux volets, pour exprimer l'ensemble de l'histoire, et préfère adopter une seule et unique structure à travers un film de moins de deux heures. Résultat : moins de place pour poser le récit, et un rythme nettement plus soutenu, tendu du début à la fin. Un choix qui aurait pu nuire à la cohérence du scénario, à la richesse des personnages ou à l’ambiance anxiogène du matériau d’origine. Pourtant, contre toute attente, le film s’impose comme une expérience immersive, ancrée dans la psychologie des habitants, où la peur, d’abord sourde et diffuse, glisse peu à peu vers un véritable survival horror. Certes, cette version condensée nous prive de certaines subtilités du roman, notamment l’exploration progressive de la corruption morale des habitants, gangrenés par la peur, l’ignorance et un mal insidieux. Car dans le livre, l’horreur ne vient pas seulement des vampires, mais aussi de la noirceur enfouie dans une communauté repliée sur elle-même. Mais en contrepartie, on gagne une version plus resserrée et musclée du récit, débarrassée des détours pour mieux se concentrer sur l’essentiel, sans pour autant trahir l’atmosphère oppressante du roman. Quant aux personnages, leur développement reste forcément plus limité que dans le livre, la mini-série, ou le téléfilm en deux parties, mais on en perçoit assez pour s’y attacher et ne pas les réduire à de simples pions.
Oh, Maître Barlow ! Seigneur des Mouches ! C'est moi, Straker, votre dévoué serviteur. Je suis rentré, maître. Je vous apporte votre offrande ! Je vous apporte un festin.
Cette réussite, on la doit au cinéaste et scénariste Gary Dauberman, qui propose une vision globale qui ne laisse rien au hasard. Une efficacité qui s'installe dès les premières secondes via une ambiance suffocante et inquiétante. La musique glaçante de Nathan Barr et Lisbeth Scott, soutenue par des chœurs d’enfants frissonnants, accompagne le récit avec une précision redoutable, renforçant sans cesse la tension. Dès lors, Dauberman se lâche en livrant une mise en scène étonnamment soignée, mais sans jamais céder à une esthétique trop lisse non plus. L’image conserve une rugosité bienvenue. Sa maîtrise du cadre impressionne avec des plans intuitifs, comme l’enlèvement d’un enfant, filmé avec une efficacité viscérale, ou certaines attaques qui surgissent en marge de l’écran, à travers un simple membre dépassant. La photographie de Michael Burgess sublime cette approche, jouant habilement avec les couleurs et les brumes épaisses pour faire émerger l’horreur dans chaque recoin. Ce travail visuel se marie parfaitement aux décors minutieusement conçus par Marc Fisichella. Jerusalem’s Lot devient un véritable théâtre de l’horreur, regorgeant de lieux marquants. Parmi eux, la chambre du jeune Mark Petrie (Jordan Preston Carter) se démarque. Un véritable antre de geek qui regorge de références aux monstres classiques avec une maquette réunissant loup-garou, vampire, Frankenstein, et de nombreuses affiches cultes comme Trog : L’Abominable Homme des cavernes, Dracula Colpisce Ancora!, Sukar Hill, ou encore une citation de Robert Frost : The Road Not Taken. En gros, c'est le kif ! Le manoir Marsten qui est une figure imposante de ce mythe horrifique est évidemment présent et bien employé, mais le film ne se contente pas de recycler les éléments emblématiques, il les revisite. Mention spéciale à cette relecture surprenante des cercueils de vampires, où un véhicule fait office de cercueil roulant. Une idée audacieuse qui fonctionne étonnamment bien. Les costumes de Virginia Johnson, sans être spectaculaires, remplissent leur rôle avec sobriété. En revanche, les maquillages s’imposent entre les yeux brillants, les peaux cireuses… les créatures ont de la gueule sans être incroyables. Reste le maître du mal, Barlow (Alexander Ward), vampire ultime fidèle au roman de King. Moins effrayant qu’attendu, son design rétro pourra diviser mais il colle parfaitement à l’esprit du texte original.
Côté divertissement, Gary Dauberman ne déçoit pas. Il enchaîne les péripéties avec un vrai sens du renouvellement, évitant soigneusement de répéter les mêmes mécaniques de peur. Chaque séquence d’horreur explore une approche différente. Parfois on flirte avec le frisson pur ectoplasmique, d’autres fois le réalisateur opte pour une brutalité frontale, avec des scènes d’attaque qui explosent à l’écran sans jamais sacrifier la tension. Un des moments les plus marquants reste la confrontation entre le professeur Matthew Burke (Bill Camp) et son ancien ami Mike Ryerson (Spencer Treat Clark), désormais transformé en vampire. Armé d’une simple croix, Burke livre un duel intense où la croix s’illumine pour projeter littéralement la lumière comme une arme divine pour repousser le monstre. Ce détail visuel injecte une touche de fraîcheur bienvenue dans le folklore vampirique. Les meurtres s’enchaînent avec efficacité, souvent accompagnés de courses-poursuites haletantes, toujours portées par une mise en scène efficace. Je repense à cette séquence où Ben Mears (Lewis Pullman), après avoir poursuivi Susan Horton (Makenzie Leigh) dans les rues désertes, découvre qu’une meute de vampires a encerclé la zone. S’ensuit une fuite désespérée vers l’église, capturée avec une tension viscérale. Le montage de Luke Ciarrocchi mérite d’ailleurs un véritable coup de chapeau. Son découpage nerveux évite l’écueil du montage épileptique puisque tout reste lisible, tendu, précis. On ne rate rien. Ce qui trouble et réjouit à la fois, c’est la brutalité avec laquelle le jeune Mark Petrie s’illustre. Pour un gamin, il fait preuve d’un sang-froid et d’une efficacité presque inquiétante. Bien plus que le héros désigné, Ben Mears, qui tarde à s’imposer mais finit par trouver sa place. Ensembles, ils nous offrent un final à la hauteur, rythmé par une montée de tension habilement construite. L’ombre s’étire peu à peu, amenant avec elle toute une armée de vampires. L’affrontement final contre Barlow aurait pu gagner en intensité ou en impact visuel, mais il dépasse tout de même la sobriété du roman. Ici, le monstre a droit à un vrai moment d’exposition, et ça suffit à faire grimper l’adrénaline une dernière fois.
CONCLUSION :
Avec ce nouveau Salem’s Lot, Gary Dauberman signe une relecture audacieuse et cinématographiquement affirmée de l’un des romans fondateurs de l’univers de Stephen king. Délaissant le format sériel des précédentes adaptations, le film opte pour une narration resserrée, au tempo tendu, qui pourrait laisser croire à une perte d’épaisseur, mais qui contre toute attente, renforce l’immersion. Un film dense et sans esbroufe, loin d'être parfait, mais qui rappelle que le mythe vampirique peut encore mordre quand il est abordé avec respect, intelligence et un vrai sens du cinéma.
Cette version 2024 n’est peut-être pas la meilleure adaptation à ce jour des romans de King, mais elle reste une proposition percutante.
- La puissance de la foi, les pieux en bois, les crucifix, les roses blanches, et l'ail sont tous censés pouvoir éloigner les vampires.
- Ce sont surtout des superstitions idiotes, pour moi.
- Bein, peut-être… Peut-être, oui. Mais, quand j'ai appelé Linda, la fleuriste qui est à Kun Berland, pour commander des roses blanches, elle a dit qu'elle avait tout vendu. Elle m'a dit qu'un type très élégant était venu la semaine dernière acheter tout son stock.
- Straker.
- Il doit exécuter les ordres de Barlow dans la journée.