Comme son nom l’indique, Saltimbancos traite du monde du cirque, de ses membres, et de leur précaire et nomade condition: « esta é a vida da gente de circo, gente sem eira nem beira, nem raizado, livre, mas com os pés atolados na terra : pertenço a essa gente » ('voilà la vie des gens du cirque, sans toit ni loi, ni racines, libres, mais avec les pieds embourbés : j'appartiens à ces gens-là').
M. Guimarães, dont c’est le premier long-métrage, adapte le roman O Circo de Leão Penedo pour peindre une sorte de tableau moderne et réaliste à la Baudelaire (voir « Le Vieux Saltimbanque »). En effet, les points communs entre le poème en prose et le film sont frappants : la même tonalité aigre-douce, faisant contraster la joie fugace du public avec la misère durable des artistes ; le même regard réaliste et compassionnel ; et surtout la même figure du vieux décrépit, « ruine d’homme », qui « ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie ni lamentable, il n’implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite.” Certes cette comparaison n’affecte qu’un seul des personnages, secondaire, apparaissant dans le dernier tiers du film ; cependant il condense bien tout le drame de ces saltimbanques : misérables, ignorés, abandonnés, mis au ban de la société, errant le long des chemins sans que l’on s’inquiète de leur sort.
Alors que le Portugal jusqu’alors le cinéma faisait surtout la part belle à des comédies de bas niveau (même si Manoel de Oliveria avait déjà réalisé Aniki Bobo en 1942), Guimarães ose s’affranchir des genres alors à l’honneur pour se rapprocher d’une veine plus italienne (c’est-à-dire néo-réaliste) – quoique doté d’une force émotionnelle, artistique et cinématographique nettement moindre. Tourné en pleine époque Salazariste où la censure opérait, Saltimbancos a dû subir des recoupes, ce qui a pu nuire au résultat final, sans pour autant pouvoir justifier le manque criant d’approfondissement psychologique et social des personnages, un scénario plutôt simple et une mise en scène rudimentaire. Des scènes retiennent toutefois l’attention, comme celles très touchantes de l’âne dompté ou du vieil homme à l’arrière de la charrette.